(B2) Le MV True Confidence, un vraquier libérien battant pavillon de la Barbade, a été touché mercredi (6 mars), vers 11 h 30 (locales), par un missile balistique antinavire (ASBM) alors qu'il transitait par le golfe d'Aden.
Trois morts, trois blessés graves
Il a fait des dégâts importants : « trois morts, au moins quatre blessés, dont trois dans un état critique, et des dommages importants au navire » selon le commandement américain CentCom. L'équipage a abandonné le navire et les navires de guerre de la coalition sont intervenus et évaluent actuellement la situation.
Une autre attaque dans le golfe d'Aden
C'est le cinquième tir de missile balistique antinavire tiré par les Houthis dans les deux derniers jours selon le CentCom. Un autre navire marchand, le MSC Sky II, un porte-conteneurs appartenant à la compagnie italo-suisse MSC et battant pavillon libérien, a été atteint lundi (4 mars) par un missile à 85 nautiques au Sud-Est d'Aden, qui a provoqué un incendie (vite maitrisé). Attaque revendiquée par les Houthis. Un dernier missile a été abattu par le navire américain USS Carney (DDG 64).
(NGV)
(B2) Les navires français, italien et allemand présents en mer Rouge et dans le Golfe d'Aden se sont mis en position pour atténuer les attaques sur les navires marchands. Mais la menace reste bien présente. Plus présente que jamais. Les frappes US sur le territoire yéménite ne semblent pas amoindrir la menace. Au contraire.
Un drone abattu par un navire italien
Le navire de la marine italienne Caio Duilio (D-554) a abattu un drone en mer Rouge samedi (2 mars) dans l'après midi). Le drone, aux caractéristiques similaires à ceux déjà utilisés lors des attaques précédentes, « se trouvait à environ 6 kilomètres du navire italien et volait dans sa direction » indique le ministère italien de la défense dans un communiqué. C'est la troisième action de ce type dans un cadre européen.
Deux drones détruits par la frégate allemande
La frégate allemande Hessen (F-221), engagée dans le cadre de l'opération de EUNAVFOR Aspides a détruit, mardi soir (27 février), deux drones Houthis qui se dirigeaient sur elle, indique la Bundeswehr. Un tir réussi contrairement au précédent, heureusement raté, les marins allemands ayant failli viser un drone américain (lire : [Actualité] Boulette allemande en mer Rouge. Un drone américain pris pour cible).
Deux autres par la frégate française
Une semaine auparavant, mardi 20 février, les frégates multi-missions françaises (FREMM) avaient détecté « des attaques multiples de drones » en provenance du Yémen « dans leurs zones de patrouille respectives dans le golfe d’Aden et dans le sud de la mer Rouge », indiquait un communiqué de la défense française. La frégate française FS Alsace (D-656) détruisant deux drones, tandis que le destroyer américain USS Mason (DDG-87) détruit, le même jour, un missile.
Les attaques continuent, mieux ajustées
Jeudi 22 février, le MV Islander, un cargo britannique battant pavillon de Palau, parti de Singapour, est atteint par deux missiles qui provoquent un feu à bord et blessé un des membres d'équipage, selon les autorités maritimes. La première fois qu'un membre est blessé. Il est obligé de faire escale à Djibouti. Samedi 24 février, le MV Torm Thor, un pétrolier propriété américaine et battant pavillon américain, est visé par un missile, à 70 nautiques de Djibouti, sans dégât ni blessés. Mardi (27 février), un autre tanker, le MV Lady Youmna, battant pavillon du Panama, subit une explosion d'un missile navire à 60 nautiques à l'Ouest de Hodeidah.
Le naufrage définitif du Rubymar
Samedi (2 mars), est venue la confirmation du CentCom, le commandement militaire US pour la région, que le Rubymar, a finalement coulé, en mer Rouge vers 2h15 du matin (heure locale). Touché de façon grave le 18 février dernier par un missile anti-navires (lire : [Actualité] Un navire marchand atteint par un missile dans le détroit de Bab-el-Mandeb), ce vraquier britannique, battant pavillon du Belize, n'a pas pu être remorqué vers un port. Il prenait l'eau régulièrement et a sombré à 13°21 Nord et 042°57 Est précise le centre britannique UkMto. Au large du port yéménite de Mokha.
Le naufrage du vraquier britannique (photo : CentComUS)C'est le premier navire marchand atteint de manière définitive. « Les quelque 21.000 tonnes d’engrais au sulfate de phosphate d’ammonium » que transportait le navire présentent un « risque environnemental » en mer Rouge, dénonce le CentCom. Il estime aussi que cela peut représenter un obstacle « souterrain » pouvant menacer « les autres navires transitant par les voies de navigation très fréquentées de la voie navigable ».
Commentaire : un semi-échec de la tactique offensive US
Ce naufrage, comme les attaques récentes, est une escalade claire. C'est le premier navire marchand atteint de plein fouet dans la zone depuis le début des attaques houthis en octobre. La tactique offensive des Américano-Britanniques, à l'aide de frappes préventives sur le territoire yéménite, ne semble donc pas vraiment avoir l'effet escompté. Au contraire. La stratégie purement défensive des Européens — moins tape-à-l'oeil — est finalement tout aussi efficace, voire plus.
Certes les frappes américaines (et britanniques) ont dégradé un peu la capacité des Houthis. Mais elle n'entame en rien la détermination des rebelles yéménites. Tirant régulièrement, ils menacent navires marchands comme militaires. Les drones et missiles qui passent au travers du filet de défense européen et américano-britannique paraissent mieux ciblés. Faisant mouche à plusieurs reprises.
Les cibles semblent aussi mieux choisies. Au lieu d'un tir tout azimut des débuts, on peut remarquer que les navires atteints sont généralement propriété britannique ou américaine. Ce qui n'est pas tout fait un hasard. Les Houthis semblent bien conseillés et bien aidés par leurs alliés iraniens (ou d'autres).
Notons (sans en tirer de conséquence pour l'instant) que deux des navires notablement atteints, le Rubymar comme le Lady Youmna avaient participé aux exportations ukrainiennes en décembre 2022 (cf. Interfax), dans le cadre de la Black Sea Grain Initiative menée sous égide de l'ONU et géré depuis Istanbul par un centre coordination conjointe cogéré par la Turquie, la Russie et l'Ukraine.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) L'opération Aspides commence bien pour les Allemands engagés en mer Rouge. La frégate Hessen qui vient tout juste d'arriver dans la zone d'opération a failli abattre un drone américain de type Reaper lundi (26 février). Heureusement elle a raté le tir...
C'était lundi (26 février), quelques jours à peine après que le Bundestag ait approuvé (vendredi) son engagement en mer Rouge et dans le golfe d'Aden pour défendre les navires de la marine marchande contre les attaques Houthis dans le cadre de l'opération européenne EUNAVFOR Aspides.
Un drone inconnu s'approche de la frégate Hessen
« Un drone a été aperçu, mais il n’était pas clair s’il pouvait être dangereux » rapporte Michael Stempfle, le porte-parole du ministère de la Défense, lors du point de presse gouvernemental mercredi (28 février). « Une interrogation a été faite auprès des partenaires ou alliés déployés ». Sans réponse apparemment.
Un tir sans succès
La frégate a alors « tenté d'abattre le drone ». Sans succès... « Les deux missiles intercepteurs à longue portée Standard Missile 2 (SM2) ont raté leur cible pour des raisons techniques », selon notre confrère Thomas Wiegold de Augengeradeaus, Un heureux hasard ! Car le fameux drone inconnu était en fait un drone de surveillance de type MQ-9 Reaper américain. Le fait « que le drone n'était pas hostile n'est devenu clair que plus tard » reconnait le porte-parole du ministère.
Explication : une faute américaine ?
L'explication est technique. Le drone américain se déplaçait « à grande vitesse dans la zone opérationnelle (...) sans que le transpondeur pour l'identification ami-ennemi (IFF, Identification Friend-Foe) soit allumé et sans information des centres d'opérations alliés » explique notre confrère citant un officiel allemand. Dans une zone dans laquelle se trouvaient 15 navires marchands, donc un potentiel risque pour ceux-ci, le commandant du Hessen, a donc ordonné le tir. Si on écoute les Allemands, ce serait en quelque sorte ce serait la faute des Américains.
Comme dans le manuel
Pour le chef d'état major de la marine allemande, l'inspecteur général Jan Christian Kaack, en effet, il n'y a pas eu d'erreur. Les marins ont bien réagi, « en appliquant la procédure comme dans le manuel ». Le drone était clairement classé comme hostile. « La décision de tirer a été prise conformément aux règles convenues et après consultation du commandement », a-t-il précisé. « J'aurais agi exactement de la même manière en tant que commandant », a déclaré Kaack à l'agence de presse DPA, selon l'hebdomadaire Spiegel. Depuis « l'incident a été analysé et la faiblesse a été corrigée » précise le porte-parole du ministère.
Commentaire : une coordination à revoir
Cet incident recouvre en fait deux erreurs. La première est l'erreur d'identification du drone Reaper. D'une valeur d'environ 15 millions $), ce serait dommage s'il s'abime en mer sur une incompréhension mutuelle. L'autre, moins relevée, est l'erreur de tir. Si le drone avait été réellement hostile, ce pouvait être soit pour la frégate Hessen, soit pour les navires marchands à côté, une erreur tragique. En gros, le destin politique du ministre Boris Pistorius a tenu à un cheveu. Cette double erreur montre en tout cas que la coordination entre Alliés de l'OTAN n'est pas vraiment au top, alors que les navires s'entrainent régulièrement ensemble. Cela démontre aussi un certain amateurisme des Allemands qui découvrent le combat en mer.
Bref, tout cela n'est pas très sérieux... et va sûrement mériter, derrière les portes closes, de sérieuses explications : au sein de la marine allemande et entre alliés.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) Une petite phrase à l'issue d'un sommet spécial sur l'Ukraine au sortir de l'Élysée. Et l'Europe s'enflamme. Aussitôt s'enclenche une machine bien rodée, consistant à réinterpréter la parole présidentielle, à l'amoindrir. Revenons aux sources exactes. Avant de les interpréter et les expliquer.
Quel propos ? Comment les interpréter ?
Qu'a dit exactement Emmanuel Macron, dans quel contexte ?
C'était au sortir de la réunion au sommet qu'il a convoquée à l'Élysée afin de franchir un cran dans le soutien à l'Ukraine (lire : [Verbatim] Face au durcissement russe, les Européens disposés à accélérer le mouvement).
Répondant à une question d'une journaliste (de l'agence Bloomberg) qui l'interroge sur la phrase du Slovaque Robert Fico parlant de son refus d'accepter l'envoi de troupes au sol, le président français répond illico, sans hésiter : « Tout a été évoqué ce soir de manière très libre et directe. Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumer et endosser des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. » Et d'ajouter : « Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre. »
Et il justifie ensuite cette locution : « Beaucoup de gens qui disent : « jamais, jamais » aujourd'hui, étaient les mêmes qui disaient : « jamais, jamais des tanks, jamais, jamais des avions, jamais, jamais des missiles de longue portée, jamais, jamais ceci ... » il y a deux ans ». Avant de conclure : « Tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif. »
Des forces au sol ?
Premièrement, chaque mot indiqué est pesé. Il ne s'agit pas d'un dérapage. Mais d'une explication claire, longue (plusieurs phrases), argumentée (but, moyens, justification). Emmanuel Macron parle bien ainsi de « troupes », « au sol », avec un objectif fixé : « que la Russie ne gagne pas la guerre ». Il n'est pas question d'envoyer quelques formateurs à l'arrière, des spécialistes de l'appui cyber, dans un coin de Kiev ou d'ailleurs (1), voire des personnels chargés de la maintenance des équipements militaires fournis aux Ukrainiens (Caesar, SAMP/T, Amx, etc.) ou de quelques officiers d'état-major ou d'agents de renseignement (2). Il n'y a pas de doute possible. Il s'agit, a priori, de forces de combat. Il le répète d'ailleurs clairement ensuite, l'objectif est bien de franchir une étape conséquente : « tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif ».
Une option plus qu'un projet
Deuxièmement, on parle d'éventualité, « d'option ». Dans l'esprit d'Emmanuel Macron, c'est une idée à travailler, issue d'un brain storming : « tout a été évoqué ce soir de manière très libre et directe ». Il le précise d'ailleurs : « il n'y a pas de consensus » sur la question. On pourrait même dire : il n'y a aucun consensus. Mais a priori, pour la France, c'est une possibilité sérieuse. A la question négative, de savoir « pourquoi la France n'y est pas favorable à ce stade » il répond immédiatement par une double négation (qui est positive) : « alors je n'ai absolument pas dit que la France n'y était pas favorable ». Mais il se refuse au nom de « l'ambiguïté des débats » de dire qui est pour. « Je dis que cela a été évoqué parmi les options. » En clair, on est dans une option à travailler (en fait déjà travaillée).
Des forces d'accompagnement
Bien sûr, on peut réinterpréter les propos, comme l'a fait le ministre des Armées. Sébastien Lecornu, devant la commission Défense de l'assemblée nationale mardi (27 février), évoque ainsi plutôt une « réflexion » engagée pour « faire différemment des choses dans notre accompagnement et notre aide à l'Ukraine », avec « quelques idées autour du déminage et autour de la formation ». C'est exact. Il y a bien plusieurs réflexions engagées, notamment dans le cadre de la mission de formation de l'UE (EUMAM Ukraine) pour tenir certaines formations sur place. Elle n'est pas encore aboutie. De même, une coalition « déminage » a été constituée entre vingt Alliés (dont la France), conduite par la Lituanie et l'Islande. Et une action est déjà démarrée en trio par les Roumains, Bulgares et Turcs pour le déminage maritime (mer Noire). Mais ce n'est pas de cela auquel fait référence le président de la République.
Pourquoi un tel propos ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce qui n'est pas juste un « bon mot ». J'en vois cinq qui peuvent s'additionner.
1° Un signal stratégique plutôt qu'un coup de fusil ?
Il y a tout d'abord une volonté de répondre aux rodomontades de menace de la Russie. Le principe est de dire : nous sommes capables d'aller plus loin dans notre coopération. De la même manière que la France (et les alliés) ont déjà envoyé plusieurs signaux stratégiques à la Russie depuis le début de l'intervention militaire de 2022 : une sortie pas trop discrète de sous-marins nucléaires de l'Ile Longue, des vols d'avions de chasse bien conditionnés, des manœuvres militaires, etc. Une sorte de dissuasion morale. La terminologie « « tout est possible si c'est utile » remplit cet objectif. Ce signal politique est intéressant à condition qu'il soit pris au sérieux.
2° Une préparation de l'opinion publique ?
Pour être dissuasif, ce message doit être crédible. Pour faire la différence et peser sur le terrain, il faudrait que la France et les Européens envoient plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Il faudrait aussi accepter un taux de perte notable, largement supérieur aux autres opérations extérieures (Balkans, Afghanistan, Sahel), de l'ordre de 10% à 20% des personnels envoyés. Les Français, Britanniques et Canadiens sont-ils prêts à assumer dans leurs rangs des centaines de morts et milliers de blessés ? Pas sûr. Du moins en l'état des opinions aujourd'hui.
3° Des options à travailler ?
L'envoi de troupes en nombre limité, par exemple de moniteurs (mentoring) qui accompagnent les troupes « de manière officielle » sur le terrain pourrait être possible, à terme. Idem dans le domaine maritime : il n'est pas interdit de penser à une aide de commandos marines à leurs homologues ukrainiens pour cibler la flotte russe et reconquérir la Crimée. Etc. Le point fondamental du raisonnement d'Emmanuel Macron, il ne faut pas dire « jamais, jamais ». Enfin, il pourrait être possible de déployer des forces en nombre en Moldavie, à titre bilatéral (le pays n'est pas membre de l'OTAN) afin de protéger ce territoire où les Russes ont créé une enclave militaire (la Transnistrie). Cette option fait d'ailleurs partie des « points de consensus » de la réunion. On passerait ainsi de la « planification froide » (comme diraient les militaires), c'est-à-dire toutes les idées possibles même les plus inimaginables, à de la planification chaude — des options réalistes.
4° Replacer la France dans la tête du peloton ?
Cette annonce permet concrètement à Emmanuel Macron de redorer un peu le blason terni par quelques déclarations précédentes dénonçant une OTAN en mort cérébrale en 2019 et surtout sa sortie sur la nécessité de « ne pas humilier la Russie » en juin 2022, en pleine présidence française de l'UE (lire : [Analyse] Un bon mot incompris qui laissera des traces). Ce qu'on appelle un « leurre » en termes militaires. Emmanuel Macron peut ainsi s'enorgueillir d'avoir été le premier à en parler et d'apparaitre aujourd'hui comme « un faucon ». Tous les autres pays sont obligés de dire : Non. La France apparait "premier de la classe" à moindre frais. On en oublierait presque que la France se classe aujourd'hui parmi les mauvais élèves en matière de soutien militaire à l'Ukraine (2), surclassée par le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Pologne en chiffres nets, et plusieurs autres pays (Danemark, Pays-Bas, Suède...) en chiffres relatifs (ratio PIB ou rang militaire). Objectif réussi ! Chacun ne parle plus que de l'envoi de troupes. Opération de com' réussie. Chapeau bas l'artiste.
5° Apprendre à penser en Européens, sans l'OTAN ?
L'Alliance atlantique est la grande oubliée. Pas un seul mot d'Emmanuel Macron sur le sujet. Le président français parle d'Européens ou d'Alliés. Mais de l'organisation en tant que telle, rien, zéro, nada. Il le reconnait lui-même : « le but de la réunion » c'était de « décider en Européens ». Interrogé sur l'OTAN, le président français répond Europe. « L'Union européenne, c'est 30 % aujourd'hui de l'effort et de l'investissement militaire. » Cette guerre « est une guerre européenne ». C'est « aux Européens » de s'organiser (NB : Britanniques compris). Cela « fait partie de ce sursaut stratégique que j'évoque depuis sept ans ». Il ne faut pas « déléguer notre avenir à l'électeur américain » (une référence à une possible élection de Trump). Et d'ajouter : « Je crois dans une Europe de la défense. Je pense que c'est notre sol et notre continent. » NB : Une constante chez Emmanuel Macron qui retrouve un certain vibrato laissé de côté ces derniers temps.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Des troupes non officielles bien présentes ?
Point à ne pas oublier, au passage, le président de la République confirme de manière explicite que de « manière non officielle », des troupes de plusieurs pays européens sont déjà au sol. Ce qui n'était pas tout à fait assumé depuis le début de la guerre. Par ce geste, Emmanuel Macron a ainsi franchi un pas. D'où la vigueur des dénégations dans plusieurs pays — des USA à la Suède en passant par le Royaume-Uni ou l'Allemagne.
(B2) Au début de la troisième année de l'intervention massive russe en Ukraine, quelle leçon retenir ? Quelle menace prendre en compte ? Que faire ? Quelques pistes
Première piste : garder la tête, nommer les faits
Une succession de hauts et des bas
Il faut tout d'abord se méfier des vagues successives qui sortent autant du ressenti que de la réalité. On est passé ainsi du pessimisme total à la mi-février 2022 ("les Ukrainiens sont foutus") à un optimise béat lors de la première phase de reconquête des Ukrainiens ("quelle résilience ces Ukrainiens") à l'automne 2022, voire à l'optimisme total au lendemain de la montée sur Moscou des troupes de Wagner, devenues rebelles, en juin 2023 ("Poutine va tomber"). Puis au spleen de l'automne 2023 après l'échec de la contre-offensive ukrainienne et même à un certain défaitisme aujourd'hui avec le retrait d' Avdiivka. En partie alimenté à la fois par Kiev (pour augmenter les soutiens européens et américain) et par Moscou (bien content d'avoir une victoire à se mettre sous la dent).
Nommer la réalité : la seconde guerre d'Ukraine
Voir ce conflit à travers la dernière année est une erreur. La guerre en Ukraine n'a pas commencé en février 2022. Elle a débuté entre la fin février 2014, avec l'annexion de la Crimée (lire : Les troupes russes peuvent intervenir (officiellement) en Crimée) et le printemps 2014, avec la déstabilisation du Donbass puis son annexion de fait. Soit depuis dix ans ! Ne suscitant finalement qu'une très faible réaction occidentale (lire : Crimée, Ukraine. L’OTAN “extrêmement préoccupée”. Mais c’est tout).
L'intervention militaire de 2022 a le même objectif que la première : déstabiliser le gouvernement de Kiev pour le rendre dépendant de Moscou. Elle est plus massive, plus radicale, plus intensive, visant non pas seulement à déstabiliser mais éradiquer l'indépendance ukrainienne, annexer l'ensemble des territoires. La première intervention n'ayant pas eu l'effet escompté et que le Kremlin a, entre-temps, durci sa position.
Une pression militaire russe constante depuis 2008
L'attitude russe agressive récente, elle, a démarré beaucoup plus tôt, visant à repousser l'influence européenne et occidentale. Elle se manifeste dès 2008 par l'intervention militaire en Géorgie, très vite interrompue par la sécurisation des deux « républiques » séparatistes de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Sans vraiment inquiéter en Europe. Elle se poursuit en 2015 par l'intervention militaire en Syrie, réussie, aboutissant à éliminer toute influence américaine, française et britannique sur le conflit.
En 2016, les forces russes en Libye s'impliquent de façon plus active en soutien du général Haftar avec un succès plus mitigé face aux Turcs soutenant Tripoli. Mais l'objectif stratégique est atteint, les deux opposants réussissent à évincer l'influence européenne ; l'intervention de l'OTAN en 2011 a finalement servi la Russie (une sacrée revanche. L'avancée russe continue en Afrique, sous couvert des groupes privés de type Wagner tout d'abord en 2017-2018 en Centrafrique ; en 2022 au Mali, selon le même modus operandi doublé d'une coopération militaire russe officielle. Avec un échec patenté au Mozambique en 2019 (lire : Des militaires russes bientôt au Mozambique ? Les Wagner russes en embuscade). Autant de signes avant-coureurs souvent négligés.
Une bataille tragique
La trouée humaine est catastrophique : entre 200.000 Ukrainiens et plus de 300.000 Russes morts ou hors de combat, blessés compris (1). Elle pèse davantage sur les Ukrainiens aujourd'hui qui peinent à recompléter et renouveler leurs troupes — plus compliqué à faire dans une démocratie que dans un régime autoritaire — et à obtenir un soutien plus net des Alliés. La balle est dans le camp des Européens en effet. Mais il ne faut pas non plus surestimer le pouvoir solide de Poutine : il pourrait aussi, un moment, être remis en question...
Des références hors du temps
En France, il est souvent fait référence à la guerre 1914-1918 pour qualifier le conflit russo-ukrainien mais très peu à la guerre de huit ans entre l'Iran et l'Irak déclenchée en 1980. Largement plus intéressant en termes de comparaison. Un conflit de haute intensité marqué par des offensives et contre-offensives, l'usage de tous les moyens (bombardements, armes chimiques...) et dispositifs possibles (tranchées, etc.). Le nombre de victimes est aussi impressionnant : entre 500.000 et plus d'un million de morts en tout, et au moins autant de blessés. En large partie des militaires. Même si des civils sont morts aussi, le ratio est plus comparable à celui du conflit actuel.
Deuxième piste : réagir et changer le mode de réflexion
Avant tout, il faut changer la façon de penser, mais aussi d'agir et de parler. Européens et Américains n'ont pas anticipé la dureté de l'offensive russe et ont souvent eu du mal à enclencher la réaction adéquate.
Prêter attention à la gestuelle politique
Il faut se rappeler le premier geste des États-Unis. Pourtant bien informés et ayant analysé l'offensive potentielle, la première décision de Washington est début 2022 de rapatrier tous leurs diplomates, pour éviter toute prise à partie possible (prisonniers, décès, blessés) et donc toute confrontation politique. Un aveu crucial en temps de guerre qui équivaut à une marque de faiblesse, un feu vert tacite aux Russes d'y aller... Un geste en totale contradiction avec la parole publique.
Anticiper davantage
À quelques exceptions près (Britanniques, Polonais, Baltes), les Européens ont souvent eu un temps de retard sur la guerre. Rechignant à offrir la panoplie complète d'une armée en bataille (terre, air, mer), soit pour des raisons pratiques car ils n'ont pas assez de moyens disponibles (drones, munitions, défense anti-aérienne), soit pour des raisons politiques (avions, missiles moyenne-longue portée). Il s'agissait de tester la réaction russe comme de convaincre les opinons nationales. Il y a eu très peu d'anticipation de la zone de bataille suivante. Ou s'il y a eu anticipation (en termes militaires), cela n'a pas été toujours suivi d'effet.
Tenir ses engagements ou être réaliste sur ses promesses
En temps de guerre, il n'est pas question de faire des promesses en l'air. Cela sera perçu par l'adversaire comme une faiblesse à utiliser. Ainsi quand on promet noir sur blanc un million de munitions en plus de ce qui est déjà livré, il faut tout faire en termes techniques et pratiques pour tenir cet engagement... ou alors ne pas s'avancer sur un terrain compliqué.
Le plan munitions conçu en 2023 était enserré dans des délais impossibles à tenir. Des diplomates et militaires européens l'avaient confié à B2 à l'époque. L'objectif était « d'abord politique », pour inciter les États à en faire plus. Mais si on arrivait à la moitié de l'objectif réel, ce serait déjà bien... Ce qui s'est passé. La preuve : les deux milliards d'euros mis sur la table pour rembourser les États n'ont été dépensés qu'à moitié (lire : [Analyse] Le semi-échec du plan européen de livraison de munitions lourdes à l’Ukraine).
Être plus réactif et imaginatif
La réactivité prime en temps de guerre. Même si le soutien militaire à Kiev est réel en nombre, en matériels, en financement, la montée en puissance reste lente : les objectifs fixés se réalisent avec un tempo d'une année de retard (lire : [Verbatim] deux millions d’obus produits... d’ici 2025 (Thierry Breton)).
L'économie de guerre marche à cloche-pied. Les Européens rechignent ainsi à donner l'ordre à leur industrie de prioriser les livraisons à l'Ukraine sur les autres exportations. La Commission européenne l'avait proposé en 2023 ; les États membres ont soigneusement biffé toutes les lignes du projet de règlement (lire : [Analyse] ASAP, plan munitions. La schizophrénie poussée à son paroxysme).
Les gouvernements hésitent à passer des commandes sur le moyen terme. Ce qui fait hésiter l'industrie à lancer de nouvelles lignes de production. Enfin, malgré leurs dires, ils se méfient toujours du cadre européen. Seuls sept États membres ont ainsi utilisé les 60 contrats-cadres négociés par l'agence européenne de défense. Or, des marges existent au niveau financier, notamment avec les revenus des avoirs russes gelés (lire : [Exclusif] Créer un fonds spécial dédié à la défense européenne ? Une idée à creuser). Pour cela, il ne faut pas hésiter à innover en termes juridiques, politiques et financiers. Et, surtout, le faire vite et agir en Européens.
Cesser une compétition interne
Enfin, le petit jeu du blame and shame : moi je donne davantage que toi doit cesser. L'effort important des Baltes et Polonais est réel. Il devrait servir d'exemple. Mais d'une part il y a une logique géopolitique et militaire au plan technique. Les stocks étaient plus nombreux et immédiatement utilisables car correspondant aux standards de matériels soviétiques en nombre dans l'armée ukrainienne. D'autre part, ce qu'oublient généralement de dire Tallinn comme Vilnius, ils ont été largement financés par les contributions des autres pays (Allemagne et France...). C'était d'ailleurs le deal de départ : vous donnez, nous finançons. La donne a changé quand ce sont des matériels occidentaux qui ont commencé à être donnés, notamment les Leopard allemands. Berlin pointant alors du doigt Paris, Madrid et Rome pour leur faible contribution. Un jeu assez stupide et néfaste.
Troisième piste : analyser clairement la menace, les menaces russes
Une menace sur le territoire de l'OTAN ?
Aujourd'hui, il n'est pas un jour sans qu'un politique ne relate une petite phrase sur la menace d'une guerre totale de la Russie. C'est sans doute nécessaire dans l'esprit de la préparation de la population. Mais il faut se méfier : cela peut aussi avoir un effet contraire, de tétaniser, de faire peur. C'est d'ailleurs la volonté des Russes et de Poutine qui ont d'abord agité la menace nucléaire (un message assez classique dans la dissuasion), puis d'un dérapage du conflit. La pression russe est régulière sur l'OTAN, via les avions, les sous-marins, les missiles, qui frôlent la frontière, jouent à cache-cache, parfois tirent en direction. Mais ce sont des avertissements qu'il faut prendre comme tel.
Quel type de menaces ?
La menace russe immédiate est d'abord hybride. Il faut en avoir conscience. Cela passe par la pression via les immigrés sur la frontière finlandaise ou polonaise. C'est l'espionnage tout azimut, l'infiltration des forces politiques ou manifestations "pacifiques" ou de mécontentement. C'est la désinformation. C'est aussi cette peur insidieuse laissée par une menace russe militaire agitée régulièrement. Il faut garder son sang froid : réagir sur les menaces existantes (hybrides), soutenir à fond l'Ukraine, anticiper au maximum, mais aussi ne pas suréagir. Avec un risque : l'épuisement. La stratégie russe vis-à-vis des Alliés semble être la même en effet que la stratégie américaine des années 1980 sur le bouclier anti-missiles : arriver à la victoire sans combattre par épuisement de l'adversaire.
Une action russe sur les Baltes ?
Sur les pays baltes, la nature de la menace est différente. Il ne faut plus se voiler la face (1). Bribes de l'URSS qui ont (ré)arraché leur indépendance en 1991 les trois pays baltes sont menacés au premier chef par la volonté du Kremlin de retrouver la grandeur perdue. La forte minorité russe dans certains pays (Lettonie surtout), la faible profondeur territoriale, l'enclave de Kaliningrad, la proximité de Saint-Petersbourg, traditionnel bastion militaire, sont autant d'atouts russes pour une pénétration hybride d'abord, voire plus franche en cas d'absence de réaction. Les préventions de l'après 1989 n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. On peut donc penser bases militaires permanentes OTAN (elles sont déjà là), voire présence nucléaire à titre dissuasif. Il faut changer de braquet.
(Nicolas Gros-Verheyde)
L'intervention terrestre ?
L'option terrestre est aujourd'hui exclue pour les Européens. En revanche, il n'est pas interdit de réfléchir à des interventions localisées. L'enclave russe de Transnistrie en Moldavie est un point clé pour cette réflexion. Constituée de forces russes, pas automatiquement les plus performantes, elle peut être une menace de prise en tenailles si la Russie s'aventurait vers Odessa. Une opération moldavo-ukrainienne soutenue par les Américains et Européens n'est pas à exclure totalement. Le risque est notable. Mais il est mesurable. Et le message passé aux Russes serait clair : dent pour dent. Histoire de renverser l'équilibre de la force.
(B2) La cargo Rubymar, battant pavillon du Belize, a été endommagé après le tir de deux missiles venus du Yémen. L'équipage a quitté le navire.
L'incident s'est déroulé à 12°42 Nord et 041°19 Est, dans le Sud de la mer rouge, quasiment dans le point le plus étroit du détroit de Bab-el-Madeb, à hauteur de l'ile de Périm. « L'équipage a quitté le navire » selon le centre de surveillance maritime britannique UKMTO. « Des navires militaires sont sur place pour apporter une assistance ». C'est le premier incident grave en mer Rouge depuis la prise du Galaxy Leader par les rebelles Houthis du Yemen en novembre (lire : [Actualité] Les Houthis détournent en mer Rouge un navire « israélien »).
Jusqu'à présent les missiles et autres drones explosifs frôlaient les navires, explosaient ou étaient détournés avant d'arriver, ou s'ils arrivaient sur le navire ne faisaient que des dégâts mineurs (lire notre [Dossier n°101] Tensions en mer Rouge. Attaques des Houthis et répliques américaine et européenne). Apparemment, cette fois, les Houthis ont mieux ajusté leur tir et les forces présentes sur place (américaines, européennes, etc.) n'ont rien pu faire pour éviter la frappe. Un coup de semonce clair que la situation est loin d'être maitrisée. Une façon peut-être aussi de célébrer à leur façon le lancement de l'opération européenne (lire : [Actualité] Aspides, la nouvelle opération de l’UE en mer Rouge : risquée, intéressante. Cinq leçons).
(Ngv)
(B2) Ce lundi (19 février), les 27 ministres des Affaires étrangères vont lancer sur les fonts baptismaux une nouvelle opération maritime entre le Golfe d'Aden, le détroit de Bab-el-Mandeb et le sud de la mer Rouge.
Le destroyer italien Caio Duilio D-554 qui sera le navire amiral de l'opération (Photo : Marine italienne)Face aux Houthis
L'objectif de cette opération est de protéger contre les attaques aériennes ou maritimes de Houthis yéménites les navires marchands (tankers, vraquiers, porte-containers, etc.) qui transitent à travers le Canal de Suez, faisant la navette entre Europe et l'Asie ou le Golfe, et, par le même coup, de préserver la liberté de navigation.
Une opération défensive
EUNAVFOR Aspides, du grec "boucliers" (au pluriel), se veut « défensive », à la différence de l'opération similaire initiée par les États-Unis de frappes aériennes sur le territoire du Yémen, assurées "en national" par les USA et Royaume-Uni. Défensif ne veut cependant pas dire passif pour autant. Les Européens pourront répliquer en cas d'attaque sur un de leurs navires mais aussi sur les navires marchands qu'ils protègent. Sur le principe de la légitime défense.
Opération à risque
Cette opération est risquée. Il ne s'agit pas en effet uniquement — comme pour l'opération anti-piraterie (EUNAVFOR Atalanta) — de faire face à des pirates, plutôt amateurs, avec des armements assez sommaires (RPG et Kalachnikov). Ici, les Houthis rodés à plusieurs années de guerre contre les forces arabes, soutenus et informés par l'Iran, utilisent des drones explosifs, des missiles anti-navires, voire des bateaux qui pourraient eux-aussi être bourrés d'explosifs.
Peu de temps avant de réagir
Bref, la menace est réelle, à la fois maritime et aérienne. Et pour déjouer ces attaques, il y a peu de temps, entre le moment où on détecte le départ d'un missile et son arrivée sur zone : moins de 90 secondes sur zone. C'est dire l'intérêt d'avoir à la fois un système de détection efficace et un système de réaction anti-missiles performante.
Une opération intéressante à cinq points de vue
Il est intéressant de faire quelques remarques tant sur l'objectif que sur la façon dont cette opération a été montée.
1° Une opération de pure défense des intérêts
Premier point à remarquer : les Européens ne se cachent pas derrière un objectif d'intérêt général : le maintien de la paix, la stabilité d'un pays, la préservation d'un cessez-le-feu, etc. Ce qui sous-entend cette opération est la défense pure et entière des intérêts économiques européens, la libre circulation maritime et la sécurité d'approvisionnement de l'Europe.
2° une opération montée en un temps record
Deux mois à peine entre le début des réflexions et la mise en place sur zone. Cela peut paraitre long dans une chaine de commandement directe (type française). Au niveau européen, c'est un record notable. D'autant que les options et le plan d'opération ont du être revus à deux reprises. La première option de se baser sur l'opération EUNAVFOR Atalanta a été barrée par l'Espagne (pour des raisons de politique interne). La seconde option de se baser sur l'opération multinationale Agenor (initiée par la France) a été laissée de côté, faute d'accord des pays du Golfe. La troisième option a donc été de lancer une opération entièrement nouvelle. Un peu plus compliqué mais réussi à l'unanimité.
3° Une génération de forces efficace
Pour une fois, la fourniture des moyens nécessaires, notamment les frégates, n'a pas été si difficile. L'opération devrait démarrer ainsi avec quatre navires (français, italien, grec, allemand). Soit un de plus que le minimum requis. Tout n'est pas encore calé. Mais par rapport aux difficultés précédentes, notamment sur les opérations terrestres, il y a là une prise de conscience intéressante des Européens. L'Allemagne, par exemple, a décidé d'accélérer son mouvement. La frégate allemande est ainsi partie de son port d'attache sans attendre le feu vert du Bundestag. Elle entrera dans la zone d'opération dès que celui-ci sera formellement donné.
4° Une volonté de se distinguer des USA
Au plan politique, on peut noter que les Européens veulent se distinguer très clairement de l'opération américaine Prosperity Guardian (même si les deux opérations seront coordonnées étroitement) menée sous couvert de la CMF (les forces maritimes conjointes) et encore plus des frappes menées par le CentCom (le commandement central US), en duo avec le Royaume-Uni. D'où le mot « défensif » martelé régulièrement. Comme pour se distinguer de « l'offensif » décidé à Washington. Ce distinguo militaire est aussi politique. Il s'agit pour les Européens de ne pas s'afficher aux côtés des Américains, au moment où ceux-ci affichent une position très pro-israélienne qui n'est pas celle d'une bonne majorité des Européens qui ont une attitude plus nuancée sur le conflit Israël-Gaza. Une volonté d'autonomie stratégique à bas bruit, en quelque sorte.
5° Un catharsis aux divisions sur le conflit à Gaza
Un point intéressant alors que les États membres participants ont des visions plutôt différentes sur le conflit Israël-Gaza. De fait, cette opération apparait ainsi comme une sorte de catharsis des divisions existantes sur le Proche-Orient. Un peu comme l'opération État de droit au Kosovo avait été en 2008, un pansement sur les plaies laissées par la division entre Européens sur la reconnaissance ou non de l'indépendance du Kosovo.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire :
Mis à jour - distinguo entre l'opération Prosperity Guardian proprement dite et les frappes effectuées en national par les Américains
(B2) Inutile de le nier. Le coup de Trump a secoué le Landerneau otanien. Au siège de l'Alliance à Bruxelles, chacun cherche bien à se rassurer. En vain. L'inquiétude rôde dans les couloirs.
Même si Jens Stoltenberg ne l'avouera jamais publiquement, à l'Alliance, chacun connait le principe : si les USA éternuent, l'OTAN se retrouve clouée au lit avec une mauvaise fièvre (Photo : OTAN - Archives B2)Les mots de trop de Trump
Au siège de l'OTAN, l'ambiance n'est en effet pas folichonne ces jours-ci après les mots de Donald Trump samedi (lire : [Analyse] Face à la menace Trump, aux armes Européens ! Neuf pistes pour réagir). Une phrase notamment a fait mouche : « I would encourage Russia to do whatever the hell they wanted to you ». Littéralement, si vous ne payez pas votre écot à l'Alliance, j'encouragerais la Russie à faire tout ce qu'elle veut de vous ». Quelques mots restés en travers de la gorge de chacun et abondamment commentés dans les couloirs lumineux de l'Alliance, des alcôves feutrées des différentes représentations permanentes ou cabinets directoriaux jusqu'au Starbuck situé à l'entrée qui sert de refuge aux amateurs souhaitant une petite pause café.
La Méthode Coué ne marche plus
Bien sûr, chacun essaie de se rassurer. Les arguments sont divers. 1. c'est normal avec Trump. 2. Après tout, ce ne sont que des paroles. 3. Sa précédente présidence l'a montré : il parle beaucoup, mais finalement il ne fait rien de mal. 4. l'Alliance tient debout et reste concentrée sur son plan de travail. 5 Pas de quoi fouetter un chat. Etc. Autant d'arguments assez peu crédibles : même les intéressés ne semblent pas y croire. Se replacer dans la situation de 2016-2020, est effet une erreur cmmente un bon connaisseur de l'Alliance, il y a au moins trois éléments qui ont changé chez Trump et ailleurs.
Un contexte totalement différent
Premièrement, on assiste à « une forme d'alignement » du discours de Trump sur la Russie. On assiste aussi à un « changement d'échelle, une évolution du discours » avec cette phrase véritable appel à la Russie à envahir un pays de l'OTAN. Deuxièmement, le contexte a énormément changé : « nous avons une guerre en Europe, l'Ukraine est attaquée, la Russie a fait le choix de la confrontation car elle refuse l'indépendance de l'Ukraine ». Pendant ce temps, les USA tergiversent sur le versement d'une nouvelle aide à l'Ukraine.
Une radicalisation du discours
Enfin, « le parti républicain ne s'est pas vraiment dissocié de ses positions ». Il y a une « réelle Trumpisation du parti Républicain ». Et celui-ci, quasiment comme un seul homme, avait refusé de voter une aide supplémentaire à l'Ukraine. C'est un des arguments de campagne que Donald Trump a développé d'ailleurs (peu repris par les médias en fait) : pourquoi les USA doivent payer la facture de l'Ukraine qui concerne au premier chef les Européens et que ceux-ci ne paient pas selon leur du.
Une Alliance touchée au plus profond d'elle-même
Inutile de le nier : l'attaque fait mal. Très mal (1). Car elle touche au plus profond de ce que l'OTAN a de plus cher : l'article 5, la clause de défense mutuelle. Le véritable ciment de l'Alliance. Ce que Trump a dit est une rupture claire avec le principe d'unité face à une possible agression extérieure. Car dans l'esprit de ses concepteurs ni dans son application ensuite, il n'a jamais été question de conditionner cette solidarité, politique et militaire, à une quelconque comptabilité.
Un tir fratricide
Le fait que cette entaille vienne des USA, l'Allié principal, d'un ancien dirigeant, candidat à la présidence pour un des deux principaux partis du pays, les Républicains, est ressenti comme un acte de traitrise. Une attaque blue on blue (tir fratricide) diraient les militaires. Le centre nerveux de l'Alliance parait atteint. Le Kremlin n'a, en fait, qu'à se frotter les mains et compter les coups : il n'a pas besoin de faire le sale boulot. Celui-ci est fait de l'intérieur.
Une erreur majeure de jugement
Le travail en forme de carpette fait durant des années par le secrétaire général norvégien Jens Stoltenberg pour brosser l'ego de Donald Trump dans le sens du poil n'a finalement pas payé. Au contraire. Ses propos répétés sur une Europe incapable d'assumer sa défense (lire : Quand Jens Stoltenberg (OTAN) voit l’Union européenne incapable de se défendre. A-t-il raison ?) résonnent étrangement aujourd'hui comme une faille supplémentaire dans l'unité euro-atlantique.
L'Alliance toujours dissuasive ?
La question posée aujourd'hui par Donald Trump est cruciale. Est-ce que l'Alliance est capable d'assumer sa fonction première, la défense du territoire européen face à la Russie ? Si son principal allié tergiverse, l'Alliance sera-t-elle demain en position de réagir et d'assumer son rôle de dissuasion de toute attaque ? La réponse est malheureusement : pas sûr à 100%. L'Alliance n'est plus en état moral d'assumer toutes ses capacités de défense et de dissuasion. Ce qui est un problème. Car le principe de la dissuasion est d'opposer à l'adversaire un roc indestructible.
Un plan B nécessaire
Aujourd'hui, plus que jamais, il ne faut plus tergiverser. Il ne s'agit pas de remplacer l'Alliance atlantique. Il s'agit d'avoir la capacité pour les Européens d'agir seuls sans l'aide du papa américain qui défaille. Les Européens (Norvégiens compris au besoin) doivent réaligner leur industrie de défense pour pouvoir agir sans nécessaire autorisation de Washington. Ils doivent revoir leurs outils opérationnels pour se permettre de réagir en commun. Ils doivent surtout réorganiser leur système de décision pour pouvoir suppléer à une défaillance du Conseil de l'Atlantique Nord. Compter sur les Américains est un placement à risque aujourd'hui.
(Nicolas Gros-Verheyde, au siège de l'OTAN)
(B2) L'hypothèse d'un retour de Donald Trump n'est pas une simple supputation aujourd'hui. Et ses remontrances à l'égard de l'OTAN et des Européens toujours aussi vives. Les Européens doivent se prendre par la main et réagir. De l'aide à l'Ukraine au parapluie nucléaire, les Européens doivent apprendre l'autonomie pour pouvoir dire demain à Washington : Europa First !
Ce qu'a dit Trump, comment l'interpréter
Lors d'un meeting samedi (10 février) à Conway en Caroline du Sud, Donald Trump a repris sa petite rengaine : faire payer les Européens. Il faut cependant bien écouter l'intégralité du passage, et non deux petites phrases reprises partout. Il ne parle pas au futur mais au passé.
Tu ne paies pas, tu n'es pas protégé
Que dit Trump ? : « L'OTAN était détruite jusqu'à ce que j'arrive. J'ai dit : tout le monde doit payer. Ils m'ont dit : bon et si nous ne payons pas, est-ce que tu vas quand même nous protéger. J'ai dit : Absolument pas ! Ils n'arrivaient pas à le croire. (...) L’un des présidents d’un grand pays m'a alors demandé : Si nous ne payons pas et que nous sommes envahis par la Russie, nous protégerez-vous ? m'a-t-il demandé. Non, je ne vous protégerais pas (...) Vous devez payer vos factures. » (1)
Jens mon plus grand fan
« Et là l’argent a afflué. (...) Des centaines de milliards de dollars ont été injectés dans l’OTAN. Et c'est pourquoi ils ont de l'argent aujourd'hui, grâce à ce que j'ai fait ! » L'évolution est réelle c'est vrai. Mais elle n'est pas vraiment due à Donald Trump, mais plutôt à Vladimir Poutine et l'offensive russe en Ukraine. Mais D. Trump n'en a cure. « Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, c'est mon plus grand fan, (me l'a dit) : tous mes prédécesseurs sont arrivés, ont fait un discours (...) et c'est tout. (Moi) j'y suis arrivé ». « Soit vous payez la facture, soit vous n'avez aucune protection, c'est très simple » répète-t-il.
Un coup de vantardise ?
On pourrait donc qualifier ce propos d'éruption verbale ou de simple propos de campagne. Un coup de vantardise en plus. Certes. Mais elle répond à une doctrine constante du candidat à la présidence qui semble incontestée dans son camp : l'Europe doit payer. Ce n'est pas nouveau dans la bouche du leader républicain (lire : Je n’en ai rien à f… d’être populaire en Europe. Les Européens doivent payer - Trump) , autant que les USA. Selon lui, les USA contribuent à hauteur de 200 milliards $ pour l'Ukraine alors que l'Europe ne cotise que pour 25 milliards $.
Un risque d'instabilité
Au-delà des mots, qu'on y croit ou pas, cet argument de marchand de voitures (si vous n'achetez pas, ca va augmenter) présente un risque sérieux pour l'Alliance : l'instabilité. Dans un monde où la Russie observe tout signe intangible de faiblesse, cela pourrait apparaitre comme un feu vert notable à toute tentative de déstabilisation de pays à sa bordure. Une brèche dans l'article 5.
Neuf pistes pour réagir
Une réaction s'impose du côté européen. De façon vigoureuse, politique, technique et militaire.
1. Rompre avec la timidité naturelle vis-à-vis des USA : Europe First !
Les Européens doivent sans tarder se cuirasser face à de telles attaques, démontrer qu'ils en font autant que les Américains, voire porter le fer en mettant en garde les Américains contre une baisse de leur aide. Face à un Trump vociférant, le calme placide ne suffit pas. Il faut passer à la contre-attaque verbale. De façon précise, en mettant les Américains aujourd'hui face à leurs responsabilités. Ce sont eux aujourd'hui qui tergiversent sur l'aide à l'Ukraine, pas les Européens. Le temps des hésitations européennes lors de l'ère Trump 2017-2021 doit être révolu. L'argument "ne fâchons pas les USA", ne pèse plus grand chose face aux agitations de la politique intérieure américaine. Les Européens doivent renverser le slogan fétiche de Donald Trump : Europa First !
2. Apprendre l'autonomie, prendre le pouvoir à l'OTAN
Les Européens devront apprendre à se passer des Américains, ne serait-ce que parce que leur protection, leur engagement dans la solidarité transatlantique sera désormais conditionnel, au moins en paroles. Cela signifie une révolution accélérée des instruments européens de défense. Peu importe en soi qu'ils passent par le biais de l'Union européenne ou d'un éventuel pilier européen de l'OTAN, voire en multinational, les Européens devront agir de façon plus groupée s'ils veulent à la fois peser et apparaitre comme une force dissuasive côté russe et ne pas dépendre du bon vouloir américain. Les Européens devront aussi se préparer à occuper des postes majeurs dans l'Alliance. Pourquoi le poste de commandement suprême (SACEUR) ne serait-il pas occupé par un Européen ?
3. Faire passer le soutien à l'Ukraine sous égide européen
L'organisation de l'aide pour l'Ukraine ne devrait pas être organisée sous l'égide de l'OTAN, comme l'a proposé Jens Stoltenberg dans le Handelsblatt. C'est une très mauvaise idée. Elle ne résoudrait pas du tout le questionnement américain sur le partage des charges. Elle serait à la merci du moindre veto (américain, turc ou hongrois).
Une possibilité intelligente serait de passer l'actuelle coopération multinationale (le groupe Ramstein) sous la direction de l'UE. Cela permet de bien décompter ce que chacun donne et évite les raccourcis à la Trump. Les Européens pourraient réfléchir à étendre leur dispositif à leurs partenaires européens. Ce qui n'est pas très compliqué. La Norvège en fait déjà partie à moitié (Oslo a contribué à la Facilité européenne pour la paix pour EUMAM Ukraine et est partie prenante du fonds européen de défense). Rien n'interdirait de le faire pour le Royaume-Uni voire pour le Canada (qui tous les deux sont déjà associés à certains projets de la PESCO).
Aux esprits chagrins qui diront, oui mais c'est compliqué, on pourra répliquer : rien de plus simple. Il suffit de faire du soutien militaire à l'Ukraine un des projets de la coopération structurée permanente (PESCO). Ce qui aurait l'avantage au passage d'éliminer toute tentation de veto (ex. Hongrie). Comme de pouvoir stimuler les différents financements (communautaires et intergouvernementaux, voire extérieurs à l'UE) et de rassembler les différents clusters d'aide (artillerie, aviation, maritime, etc.).
4. Décider plus vite, mettre fin aux querelles
Les Européens devront apprendre à décider de façon plus rapide et plus franche. Ce qui était le cas au début de l'offensive russe en février 2022 s'est singulièrement ramolli depuis l'été dernier. Les 27 semblent être revenus à leur défaut principal : procrastiner ! Ainsi la proposition du haut représentant de l'UE de mettre cinq milliards de plus dans la facilité européenne pour la paix, proposée en juillet 2023, n'est toujours pas adoptée. Et ce n'est pas la faute de la Hongrie, contrairement à ce que d'aucuns disent, mais des plus gros États membres, France et Allemagne en premier lieu (lire : [Exclusif. Fonds d'assistance à l'Ukraine : ce qui passe, ce qui bloque). Le couple franco-allemand doit résolument apurer toutes ses dissensions internes.
5. Résoudre la question de la préférence européenne
Cette question revient à chaque discussion sur un instrument européen. Faut-il acheter "sur étagères", là où le matériel est disponible et efficace ? Ou faut-il privilégier la base industrielle européenne ? Les tenants de chaque position ont des arguments très intelligibles (la France n'a-t-elle pas acheté un moment des Reaper faute d'autres matériels). Il faut arriver à dépasser cet antagonisme. Une des solutions pourrait passer par une interaction plus forte des gros groupes européens (Airbus, Thales, Mbda, ...) dans les pays de l'Est européen. A l'image de Rheinmetall en Slovaquie. Une sorte de ruissellement industriel qui ferait que chaque État membre se sentirait davantage concerné. Pourquoi pas reprendre le projet d'un actionnariat polonais dans Airbus ?
6. Utiliser pleinement les instruments existants
Il va falloir ainsi utiliser pleinement les instruments européens existants, telle l'agence européenne de défense, qui devra être transformée en une vraie agence d'acquisition européen. Il faudra ne plus avoir peur également de prioriser certaines productions. Quitte à briser quelques tabous libéraux. La Commission européenne l'avait pourtant proposé sous l'égide du commissaire Thierry Breton dans le cadre de l'acte de soutien à la production de munitions (ASAP). Les États membres l'avaient refusé. Une erreur.
7. Développer d'autres outils européens
Il y a aujourd'hui un fonds européen de défense pour la recherche et le développement et un autre instrument pour les acquisitions en commun (EDIRPA et ASAP). Les financements ne manquent donc pas. Mais il reste de singulières lacunes. Il n'y a pas un dispositif de soutien à un État désireux de se doter de stocks sur un segment sensible et lacunaire (drones, etc.) qui pourrait être mis à disposition des autres États membres (sur le modèle de RescEU en matière de protection civile). Il manque aussi un instrument (assemblant financement, prêts, dons de matériels d'occasion, maintenance, formation...) permettant d'avoir une offre complète permettant à un État d'acheter auprès d'un industriel à l'image du FMS américain (Lire : Ne faut-il pas un FMS européen ?) . Pourquoi ne pas les développer, dans une optique d'aider l'Ukraine mais aussi pour assister les États membres à recompléter leurs équipements...
8. Se doter d'un parapluie anti-missiles et nucléaire européen
Il faudra sans doute briser ce tabou. L'idée d'étendre le parapluie nucléaire français — évoquée par Emmanuel Macron de façon subliminale en Suède — devrait être une possibilité à étudier rapidement et concrètement avec des pays volontaires. Non pas discrètement comme on pourrait croire, mais de façon visible afin que Russes comme Américains sachent que les Européens en sont capables et le financent. Berlin et Varsovie pourraient en être les premiers bénéficiaires. Dans le même esprit, la France devrait cesser de faire de la résistance au projet de défense anti-missiles lancé par les Allemands (European Sky Shield Initiative). Les deux dispositifs sont en effet pleinement compatibles.
9. Des bases permanentes de puissance européenne ?
Enfin, les Européens pourraient réfléchir à transformer leur présence par rotation au titre des forces de l'OTAN dans des bases militaires permanentes de puissance dans les pays les plus proches de la Russie (2). Pourquoi pas une base maritime à Constanza (Roumanie) et une base terrestre entre Pologne et Lituanie, près du couloir de Suwalki ? Il serait aussi utile de prévoir une présence en Moldavie face aux forces russes de Transnistrie. Cela a un coût et oblige de mobiliser des troupes et moyens. Mais c'est une présence tout autant dissuasive que celles des Américains si les Européens veulent bien s'en donner la peine.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi : [Analyse] L’Europe joue toujours en seconde division dans la défense. Paradoxal dans un contexte troublé (2023)
Pour se rappeler l'époque Trump 2016-2020
(B2) La marine indienne déjoue ce vendredi (2 février) une nouvelle tentative de piraterie à l'Est de la Somalie.
Attaqué dans la nuit de mercredi à jeudi (31 janvier), le FV Omari, un navire de pêche battant pavillon iranien, avait été capturé par les pirates dans le Golfe d'Aden, à 14°13 Nord et 42°30 Est. Il a d'abord été localisé par un avion de patrouille, qui effectuait une surveillance dans la zone. Avant que le patrouilleur de haute mer indien INS Sharada intervienne. Les membres de l'équipage, 11 Iraniens et 8 Pakistanais, ont été libérés.
(NGV)
(Photo : Marine indienne)(B2) C'est loin de leur zone de chalandise que les pirates somaliens semblent avoir porté leur dévolu, multipliant les attaques en mer d'Oman ou d'Arabie. Deux ont failli réussir ce week-end. L'intervention rapide de la marine indienne d'un côté, des garde-côté seychellois de l'autre ont permis de mettre fin aux attaques.
En plein mer d'Oman / d'Arabie
Samedi (27 janvier), un navire a été l'objet d'une tentative d'attaque, très loin de la Somalie, à 780 miles marins à l'est d'Hafun, en pleine mer d'Oman/Arabie. Une zone plus proche des côtes indiennes. Quatre hommes à bord, armés de fusils automatiques et de lances grenades a été observé, s'approchant à moins de 300 mètres du navire, précise le centre maritime britannique UKMTO. L'incident se situe à hauteur de Khozhikode selon nos données (10°54 nord et 064°17 Est). Les gardes de sécurité à bord ont tiré des tirs d'avertissements. Les attaquants ont rebroussé chemin.
Un chalutier sri-lankais sauvé par la marine seychelloise
Le même jour, une autre tentative a réussi. Un chalutier sri-lankais, le Lorenzo Putha-4, avec six membres d’équipage à bord, a été abordé par les pirates à quelque 840 nautiques au large des côtes somaliennes et saisi. « Selon nos informations, ils ont été capturés par des pirates somaliens », a déclaré dimanche (28 janvier) le captain (capitaine de vaisseau) Gayan Wickramasuriya, le porte-parole de la marine sri-lankaise. L'intervention de la garde-côte des Seychelles a permis rapidement de mettre fin à l'épisode lundi (29 janvier), selon le média sri-lankais Adaderana. Les trois pirates ont été arrêtés. Et le chalutier sri-lankais escorté jusqu'au port de Victoria (Seychelles).
Un navire de pêche iranien, libéré par la marine indienne
Lundi (29 janvier), le patrouilleur de haute mer de la marine indienne INS Sumitra (P59) est intervenu pour libérer un navire de pêche iranien, MV Iman, détourné par les pirates somaliens, avec 17 membres d'équipage, en pleine mer d'Arabie, indique la marine indienne lundi (29 janvier) (source ANI). L'hélicoptère de bord de type ALH Dhruv a d'abord survolé le navire détourné avertissant les pirates. Puis les militaires indiens sont intervenus, « désarmant les pirates et leur ordonnant de s'éloigner vers la Somalie », selon la presse indienne (Républic Word).
Une autre attaque près des côtes somaliennes
Dimanche (28 janvier), une autre attaque a eu lieu. Cette fois, toute proche de la Somalie (à 11*30 Nord et 048 Est). À 70 nautiques de Bossaso, un navire a été approché à moins de 400 mètres par un skiff, avec cinq hommes à bord dont quatre armés d'armes de type AK47 (Kalachnikov). L'équipe de sécurité à bord a fait un tir d'avertissement, le skiff a cessé son approche.
(NGV)
Mis à jour (12h20) avec l'information de la libération du navire sri-lankais
(B2) Le projet Hunger de l'artiste Yona Tukuser vous projette à la figure cette famine du XXe siècle en Ukraine un peu oubliée jusqu'à l'intervention russe de 2022. Des peintures d'une rare symbolique
Durant quatorze ans, l'artiste de nationalités bulgare et ukrainienne a rassemblé des documents historiques sur la famine en Ukraine entre 1921 et 1947, utilisant des informations provenant des archives d'État et des entretiens personnels avec des témoins qui ont survécu à la famine, ainsi que de nouvelles sources vidéo documentaires.
Ces peintures issues de cette matière humaine recréent une atmosphère sombre, agressive, d'un réalisme parfois troublant, où la puissance et le tragique semble égaler l'horreur. Une exposition qui entend commémorer le 90e anniversaire de la tragédie de l'Holodomor de 1932-1933, famine reconnue par le Parlement européen comme un génocide.
Cette exposition résonne avec ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine. S'y adjoint en effet, un film documentaire et une installation d'authentiques grains brûlés résultant d'une attaque de missile russe. sur un entrepôt de céréales dans un port du Danube en 2023, ainsi qu'un fragment d'un drone russe qui a brûlé ces céréales.
(B2) En mer Rouge, les échanges de tirs s'enchaînent entre les Alliés et les rebelles Houthis. La coalition durcit le ton, mais la division affleure. Américains et Britanniques militent pour des frappes préventives. Et passent à l'action. La plupart des Européens sauf les Pays-Bas redoutent une escalade et préfèrent une posture défensive.
Un destroyer américain visé
Un « missile de croisière antinavire a été tiré » depuis les zones houthis du Yémen vers le destroyer « USS Laboon (DDG 58), dans le sud de la mer Rouge », dimanche (14 janvier) vers 16 h 45 (heure de Sanaa), annonce l'US CentCom, le commandement américain responsable pour la zone du Proche-Orient. Le missile a « été abattu à proximité de la côte d'Hodeïda par des avions de combat américains ». « Sans blessé ni dommage » est-il précisé.
Une première frappe sur les bases des Houthis au Yémen
On peut y voir une réplique à une frappe menée par les forces américaines contre un site radar Houthi au Yémen. Une première série de frappes a été faite dans la nuit de jeudi à vendredi (12 janvier). A 2 h 30 (heure de Sanaa), les forces du commandement central américain, en coordination avec le Royaume-Uni ont mené des frappes conjointes sur des cibles houthistes. Objectif : « dégrader » la capacité des Houthis « à poursuivre leurs attaques illégales et imprudentes contre les navires américains et internationaux et la navigation commerciale dans la mer Rouge ». Cible visée : « les systèmes radar, les systèmes de défense aérienne, ainsi que les sites de stockage et de lancement de systèmes aériens sans pilote d’attaque unidirectionnelle, de missiles de croisière et de missiles balistiques ».
Un soutien minimal
Frappes menées « avec le soutien de l'Australie, du Canada, des Pays-Bas et de Bahreïn » est-il précisé. Mais « sans aucun lien et (bien) distinctes de l’opération Prosperity Guardian, une coalition défensive de plus de 20 pays opérant dans la mer Rouge, le détroit de Bab al-Mandeb et le golfe d’Aden » prend bien soin de préciser le communiqué US. Notons qu'un seul pays de l'UE — les Pays-Bas — a été associé à la coalition ad hoc sous direction américaine. « Un soutien non opérationnel » prend bien soin de préciser le gouvernement de La Haye.
Seconde frappe
Une seconde frappe a été menée par l'USS Carney (DDG 64), un destroyer américain de la classe Burleigh Burke, dans la nuit de vendredi à samedi (13 janvier), à 3 h 45 (heure de Sanaa), à l'aide de missiles d'attaques terrestres Tomahawk, visant un « site radar Houthis ». Une sorte « d'action de suivi ». La première n'ayant pas a priori tout à fait atteint sa cible ? Ces frappes « n'ont aucun lien et sont distinctes de l'opération Prosperity Guardian, une coalition défensive de plus de 20 pays opérant dans la mer Rouge, le détroit de Bab al-Mandeb et le golfe d'Aden » prend bien soin de préciser cette fois le commandement américain. Une manière de se dédouaner d'une opposition interne bien présente.
L'attaque de grande ampleur
Ces frappes se veulent une réplique à l'attaque « de grande ampleur » menée par les Houthis mardi (9 janvier). A 21h16 (locales), une salve de 18 drones de type OWA, deux missiles de croisière et un missile balistique sont lancés simultanément depuis des bases yéménites, visant des navires en mer Rouge, indique l'US CentralCom. Tous interceptés par les efforts combinés des avions F18 des quatre navires américains — USS Dwight D. Eisenhower (CVN 69), USS Gravely (DDG 107), USS Laboon (DDG 58), USS Mason (DDG 87) — et le britannique HMS Diamond (D34). Aucun blessé ni dommage n'est signalé (1).
Désapprobation discrète de la plupart des Européens
La plupart des alliés européens des Américains — France, Italie, Espagne notamment de façon visible, Grèce de façon plus discrète— désapprouvent ce type de frappes ou, plutôt, s'ils ne s'y opposent pas, ne veulent pas y être associés. Quelques uns ont ainsi signé la déclaration US du 3 janvier (Danemark, Allemagne, Pays-Bas...) condamnant les attaques houthis. Mais pas la France ni l'Espagne par exemple. Et la liste des soutiens se réduit au fil des évènements. L'Italie (et la Norvège hors UE) ont ainsi marqué le coup refusant de signer la dernière déclaration sur les frappes de rétorsion, ne partageant pas automatiquement la même définition de la légitime défense (cf. Carnet 16.01.2024). Ne parlons pas de la Turquie qui a une autre appréciation du conflit au Proche-Orient que les Américains. De façon autonome, les 27 s'organisent plutôt pour préparer leur propre opération (lire : [Confidentiel] Face aux attaques des Houthis en mer Rouge, une opération européenne se planifie…).
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire à suivre : la tactique houthis à l'épreuve.
(B2) Depuis plus un an, le gouvernement français constitué sous la présidence de Emmanuel Macron joue les équilibristes. Tentant toutes les astuces pour éviter d'adopter un standard européen démocratique
© ngv / B2La tentation française de continuer comme avant
Jusqu'aux élections de 2022, la France faisait un peu figure d'anomalie avec la Hongrie ou la Grèce. En Europe, peu de gouvernements disposent en effet d'une majorité absolue. Partout ailleurs, c'est le principe d'une coalition de partis qui dirige. La tradition démocratique européenne aurait alors voulu qu'une négociation s'engage pour former une coalition de gouvernement.
Le risque du tunnel parlementaire
Tenter le pari que les contraires ne pourront pas s'allier pour faire tomber le gouvernement est risqué. C'est un peu comme rentrer dans un tunnel long et sinueux, phares éteints et yeux fermés, et espérer ne percuter personne. Pourtant, c'est la méthode choisie par le gouvernement Macron avec la course aux soutiens individualisés. Espérer atteindre une majorité en faisant basculer quelques individualités en mal de reconnaissance ministérielle est possible quand il y a un écart de une ou deux voix. Pas quand il y a plus de 30 voix d'écart (1).
La raison du compromis
Face à une absence de majorité à la chambre, il n'y a pas vraiment d'autre méthode que de négocier un contrat de coalition pour faire entrer soit un ou plusieurs partis au gouvernement et s'assurer ainsi une majorité, soit un soutien sans participation en cas de gouvernement minoritaire. C'est une règle de base de la démocratie parlementaire. Y déroger c'est s'exposer à naviguer à vue. Ce qu'aucun gouvernement européen n'a pour l'instant tenter. Préférant souvent passer plusieurs semaines, voire plusieurs mois (comme aux Pays-Bas aujourd'hui) avant de former un gouvernement solide.
La méthode privilégiée : coalition de partis et contrat de gouvernement
L'Allemagne a inauguré depuis longtemps ce système de coalition qui rythme sa vie politique tous les quatre ans. Aucun grand parti n'atteignant la majorité absolue, celui arrivé en tête doit composer avec un ou deux autres partis. Un contrat de gouvernement est rédigé, détaillant par le menu non seulement la répartition des postes, mais aussi les réformes à venir, parfois de façon extrêmement détaillée. C'est ainsi qu'a gouverné la grande coalition, regroupant sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates, à l'œuvre sous Angela Merkel à trois reprises. C'est comme cela qu'a été constituée en décembre 2021 une nouvelle coalition « tricolore » inédite (la coalition Ampel) qui gouverne aujourd'hui, rassemblant Verts, orange (Libéraux) et rouge (Sociaux-démocrates).
En Belgique, former une coalition n'est pas un choix mais une mécanique politique obligatoire. Il s'agit non seulement d'obtenir une majorité de gouvernement à la Chambre des députés, mais aussi d'assumer la légitimité de l'État fédéral au Sud (francophone) comme au Nord du pays (néerlandophone). Contrairement à d'autres pays, ici, aucune alliance n'est prévue d'avance ni exclue. Tout dépend de l'élection et, surtout, de négociations byzantines qui s'engagent ensuite sur le mode « je t'aime, moi non plus ». L'actuel gouvernement, issu d'une négociation de quatre mois — un record de rapidité —, rassemble depuis septembre 2020 moins de sept partis. Une coalition dénommée Vivaldi, en honneur du compositeur des quatre saisons et des emblèmes des partis la composant (bleu, vert, rouge et orange).
En Autriche, c'est l'alliance des contraires. Le parti chrétien-démocrate ÖVP, très à droite, a choisi de gouverner avec les Verts. Un peu par hasard. Les deux partis sont arrivés en tête des élections. Début 2020, après trois mois de négociations, ils tombent d'accord sur un programme. Une sacrée pirouette politique pour le chancelier Sebastian Kurz, qui venait tout juste de clore 16 mois de noces avec l'extrême-droite.
Dernier exemple en date, la Pologne, les chrétiens-libéraux de la plate-forme civique, les centristes paysans de la Troisième Voie et la Gauche unie ont passé un préaccord de coalition pour pouvoir obtenir la majorité absolue afin d'extirper les conservateurs du PiS (droit et justice) et l'extrême droite du pouvoir (lire : [Actualité] Un nouveau gouvernement polonais aux commandes. Tusk le retour de l’enfant prodigue).
Seconde méthode : le gouvernement minoritaire
Cette méthode de gouvernement prévaut au Danemark. Arrivé premier aux élections en 2019, le parti social-démocrate de Mette Frederiksen n'obtient que 48 sièges sur les 179 du Folketing, le parlement danois. À peine 27%. Sa dirigeante réussit cependant à constituer son gouvernement, composé des seuls socio-démocrates. Mais avec le soutien « sans participation » autour d'un programme négocié avec plusieurs partis de gauche — des libéraux aux socialistes ou de l'extrême-gauche. Et cela tient ! Depuis presque trois ans.
En Espagne, c'est le règne de l'équilibrisme. En 2020, le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a formé un gouvernement avec la gauche de Podemos et les socialistes catalans, au terme d'un accord de coalition, prévoyant réformes sociales et fiscales. Mais, à eux trois, il n'ont pas la majorité absolue. Pour obtenir la confiance, le socialiste négocie avec quelques partis régionalistes, basques, catalans, galiciens, leur soutien ou leur abstention. Au cas par cas. Rebelote en 2023, Sumar ayant remplacé Podemos au gouvernement ; les régionalistes restant en soutien extérieur.
Enfin, en République tchèque, c'est une coalition hétéroclite qui est arrivée au pouvoir en novembre dernier. Ensemble (SPOLU en tchèque), qui rassemble les conservateurs eurosceptiques de l'ODS et deux petits partis chrétiens-démocrates, s'entend dès le lendemain des élections, avec une autre coalition, Maires et Pirates, formée du Parti pirate tchèque et des Maires et Indépendants (STAN), à tendance très europhile, plus libérale et écologiste. Détonnant. Mais les deux ont un objectif commun : déloger du pouvoir le milliardaire libéral Andrej Babiš. L'accord est ficelé en quelques semaines. On verra s'il tient...
(Nicolas Gros-Verheyde)
Version longue et complétée d'un article publié dans Sud-Ouest en juin 2022
(B2) Un bateau de pêche yéménite, dénommé Emarat 2, a été détourné à 13 km au nord d'Eyl (Puntland) signalent les autorités maritimes samedi (23 décembre). Le dhow long de 17 mètres avait été vu pour la dernière fois se dirigeant vers le nord, le long de la côte yéménite la veille (22 décembre). Selon les autorités militaires, le navire pourrait être utilisé pour de futures attaques de piraterie. Cette attaque des pirates somaliens s'ajoutent aux nombreuses attaques par drone et missiles, ainsi que plusieurs approches « suspectes » signalées ces derniers jours entre Djibouti et le Yémen, dans le sud de la mer Rouge.
(B2) Face aux attaques désormais quotidiennes des Houthis sur les navires marchands dans le détroit de Bab el Manded, entre Yémen et Djibouti, et dans le sud de la mer Rouge, les Européens et Alliés renforcent leurs moyens dans la zone
Les Américains qui ont le 'lead' dans la zone ont demandé à leurs alliés de renforcer leurs moyens et leur patrouilles dans la zone. Du côté européen, plus que jamais, l'alerte est donnée. L'idée d'une coordination européenne a été lancée, notamment par le président français Emmanuel Macron lors du Conseil européen du 15 décembre (lire : [Actualité] Face à la menace Houthis, une coordination maritime européenne en mer Rouge ?).
Une frégate française en renfort
La frégate FREMM Languedoc rejoint l'opération européenne EUNAVFOR Atalanta. Cela permettra à l'opération « d'accroître la présence en mer Rouge et la capacité de partage d'informations avec nos partenaires de la sécurité maritime, notamment les forces maritimes combinées (CTF) » a confirmé à B2 un responsable de l'opération. Un soutien apprécié au moment de la recrudescence d'actes de piraterie des Somaliens (lire : [Actualité] Nouvelle alerte aux pirates dans le Golfe d’Aden. Un navire malto-bulgare capturé ?) comme des tirs et sommations des Houthis yéménites (cf. ci-dessous).
En soutien associé
La frégate sera en mode « soutien associé ». C'est-à-dire opérant dans le cadre du mandat d'EUNAVFOR, sous son autorité. Mais pas automatiquement de façon permanente. D'autres actions « pourraient ainsi être menées », mais dans le cadre de décisions et sous une chaine de commandement nationales.
Même si un soutien français à l'opération européenne n'est pas exceptionnel, ce n'est plus aussi régulier qu'en 2010 lors des temps critiques de la lutte anti-piraterie (1).
Un destroyer britannique dans la zone
Le gouvernement britannique a décidé de déployer le destroyer HMS Diamond (D34) dans la zone. Parti de Plymouth, fin novembre, il est venu ainsi rejoindre (et relayer) le HMS Lancaster, déployé dans la région l'année dernière pour sécuriser le golfe, et trois chasseurs de mines (le HMS Bangor, le HMS Chiddingfold le HMS Middleton et le navire de soutien auxiliaire de la Royal Fleet RFA Cardigan Bay). Navires déployés dans le cadre de l'opération permanente Kipion et sous le commandement de la composante maritime britannique (UKMCC) à Bahreïn.
Objectif : « renforcer les patrouilles de la Royal Navy » dans la région et « maintenir ouvertes les routes commerciales critiques » comme l'a expliqué le ministre Grant Shapps dans un communiqué. « Il est essentiel que le Royaume-Uni renforce sa présence dans la région, pour protéger la Grande-Bretagne et nos intérêts d’un monde plus instable et plus contesté. »
Les Allemands se tâtent
Les États-Unis ont demandé à la marine allemande si elle serait en mesure de fournir un soutien en mer Rouge. Mais la réponse à Berlin reste pour l'instant très floue, comme l'a noté notre collègue Thomas Wiegold de Augengeradeaus. Interrogé par la presse, vendredi soir (15 décembre), en marge d'une visite à la base aérienne de Wunstorf, le ministre de la Défense Boris Pistorius a été elliptique : « Nous étudions actuellement la demande et les options disponibles. Mais nous ne sommes pas encore au bout », a-t-il répondu à l'agence de presse DPA.
Les attaques continuent
Les attaques via drone ou missile, ou les sommations faites aux navires circulant dans la zone de se détourner de leur route pour aller dans un port yéménite, sont désormais quotidiennes.
Ce lundi (18 décembre), un tanker norvégien — apparemment le MT Swan Atlantic qui faisait route de France vers La Réunion selon son propriétaire— a été l'objet d'une approche agressive par trois petits bateaux avec du personnel armé à bord à 63 nautiques au nord-ouest de Djibouti. Attaque déjouée par un navire de la coalition maritime allié (américain), qui se trouvait à proximité. Un autre navire — apparemment le MSC Clara, un porte-containers battant pavillon panaméen — a aussi l'objet d'une attaque à 24 nautiques au nord-ouest du port yéménite de Mokha, signalant une explosion forte étant survenu à babord. Sans dégât au bateau ni aux hommes. Les Houthis ont revendiqué l'attaque sur ces deux navires.
Vendredi (15 décembre), le porte-conteneurs allemand Al Jasrah de la compagnie Hapag-Lloyd est touché par un missile. Un incendie se déclare à bord. Un coup de semonce en Allemagne au point que les armateurs comme certains responsables politiques demandent à l'Allemagne de s'engager dans la zone avec des navires. Le même jour, le destroyer britannique HMS Diamond abat un drone d'attaque présumé ciblant un navir dans la mer Rouge, détruisant la cible avec un missile Sea Viper (alias Aster), confirme la défense britannique.
La veille, jeudi (14 décembre), le porte containers danois MV Maersk Gibraltar (de la compagnie AP Moller-Maersk), qui navigue sous pavillon de Hong Kong, parti de Jebel Ali (Émirats arabes unis) vers Djeddah (Arabie Saoudite), est visé par un missile en mer Rouge. Le même jour, le porte-conteneurs MSC Palatium 3, naviguant sous pavillon libérien, est aussi touché par un missile, près du port yéménite de Mokha. Tandis qu'un autre navire de la compagnie, le MSC Alanya qui avait aussi pour destination Djeddah, est sommé par les Houthis de changer de cap.
Mercredi (13 décembre), c'était un chimiquier battant pavillon des Iles Marshall, le MV Ardmore Encounter (de la compagnie Ardmore shipping), qui avait subi une attaque combinée humaine et de missile. Les forces yéménites ont « d'abord tenté d'aborder le pétrolier via des skiffs. Cette tentative n’ayant pas abouti, deux missiles ont été tirés depuis les zones du Yémen contrôlées par les Houthis sur le navire. Elles ont tous deux manqué leur cible » raconte la marine US qui est intervenu. Enfin, alors qu'il répondait à l'appel de détresse, l'USS Mason (DDG 87) a « abattu un drone également lancé depuis les zones contrôlées par les Houthis Û qui se dirigeait vers le navire.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi : [Actualité] La menace Houthis en mer Rouge continue. Un pétrolier norvégien atteint par un missile
Mis à jour : précisions sur les attaques du 18 décembre et du 13 décembre
(B2) Un navire battant pavillon maltais a été capturé par les pirates en plein Océan indien jeudi (14 décembre)
Le Centre d'opérations conjoint de la force navale de l'Union européenne (EUNAVFOR) a reçu jeudi une alerte sur le détournement possible du MV Ruen, un cargo battant pavillon maltais et géré par une compagnie bulgare. L'incident s'est produit en plein Océan indien, à environ 500 Nautiques à l'Est de l'île de Socotra.
L'officier de sécurité de la compagnie affirme n'avoir plus de contact avec l'équipage ; celui-ci aurait perdu le contrôle du navire et aurait mis le cap sur Bossaso en Somalie, dont il se trouve à environ 680 nautiques, selon les dernières indications.
La frégate espagnole Victoria, a reçu l'ordre de mettre les moteurs et « se rapprocher le plus vite possible » du navire marchand. Objectif affiché : « recueillir davantage d'informations » et « évaluer d'autres actions ». Les forces maritimes combinées de la CTF sont également averties.
Le navire qui avait pour destination Gemlik en Turquie aurait
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) L'attaque d'un pétrolier norvégien a failli tourner au drame dans la soirée du lundi (11 décembre) en mer Rouge. Les Houthis donnent réalité à leur volonté de viser tout navire ayant pour destination Israël.
Un pétrolier norvégien visé délibérément
Le pétrolier Strinda, battant pavillon Norvégien, a été victime d’une « attaque aérienne complexe » impliquant un missile et un drone, dans le sud de la mer rouge, selon les informations diffusées par la défense française et américaine. Deux navires l'un de la marine française, Le Languedoc, l'autre de l'US Navy, l'USS Mason, se sont portés au secours du navire marchand.
Un missile qui fait mouche, un drone intercepté
Le pétrolier a en effet été atteint par un missile, provoquant un incendie à bord. Missile de croisière anti-navire (ASCM) lancé depuis une zone contrôlée par les Houthis au Yémen, selon l'US Navy. L'incendie a pu être maitrisé. Aucun blessé n'est à déplorer.
Marines française et US au secours
Le drone, qui « menaçait directement le Strinda », a pu être intercepté et détruit par la frégate française multi-missions FREMM Languedoc (D-653), qui patrouillait dans la zone (1). Le Languedoc s’est ensuite placé en protection du bâtiment touché, « empêchant la tentative de détournement du navire », indique la défense française.
Le destroyer américain USS Mason (DDG-87) a ensuite pris le relais et escorté le Strinda vers le golfe d’Aden hors de la zone de menaces. Tandis que la frégate Languedoc reprenait sa patrouille vers le Nord.
Une attaque revendiquée par les Houthis
Le ciblage du pétrolier a été revendiqué par les forces armées yéménites. « L'équipage du navire [norvégien] a ignoré tous les appels d'avertissement », a affirmé Yahya Sare'e, porte-parole des forces armées, selon al Massirah, la télévision liée au groupe yéménite. Une stratégie affirmée.
Viser tout navire à destination d'Israël
Les Houthis avaient indiqué, samedi (9 décembre), vouloir intercepter les navires se dirigeant vers Israël, « quelle que soit leur nationalité ». « Tout navire en route vers Israël sera considéré comme une cible légitime pour les forces armées yéménites » a ainsi indiqué Yahya Sare'e, porte-parole des forces armées. Une réponse « aux atrocités continues commises par Israël (...) et le blocus imposé à la population de Gaza ».
Le Languedoc visé délibérément
La semaine dernière, samedi (9 décembre), la frégate Languedoc avait abattu deux drones qui se dirigeaient « droit sur elle, en provenance des côtes du Yémen ». L’interception et la destruction de ces deux « menaces caractérisées » ont eu lieu vers 21h30 puis vers 23h30 (heures françaises) à 110 km des côtes du Yémen, à hauteur de Al Hudaydah, indique la défense française.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi :
(B2) Le Conseil européen jeudi et vendredi prochain (14) décembre s'annonce comme une réunion cruciale pour les 27 sur tous les plans. Seront-ils capables de surmonter leurs divisions ? De sortir par le haut de leurs réticences croisées ? L'enjeu est notable.
Au sommet UE-Amérique latine, les sourires et applaudissements sont de sortie... pour la photo de famille (Photo : Conseil de l'UE)Un sommet à grand risque
De la division à l'Union, un rite bien précis
Les rencontres au sommet ne sont jamais un grand moment de convivialité unie. Malgré les apparences, les sourires et les accolades. Elles sont plutôt le lieu où les Chefs se confrontent. Ces batailles sont parfois homériques. Leurs idées, leurs intérêts divergent bien souvent avant la réunion. C'est le jeu et même le rite habituel. Cette rencontre étant souvent le moment de resserrer les rangs et définir quelques orientations communes. Le mot division est ainsi souvent concomitant à celui de sommet comme celui d'unité. La réunion de jeudi n'est donc pas exceptionnelle sur ce point.
Un lot de dossiers non réglés
Ce qui semble exceptionnel, c'est le nombre de dossiers, de première importance, sur lequel les 27 ne sont pas d'accord et profondément. Sur l'avenir de l'Europe, ses règles intérieures, son budget, son rôle dans le monde, derrière les mots généreux et souvent creux, les Chefs n'ont plus d'affectio societatis. Les Européens ne sont d'accord sur rien ni au plan extérieur ni au plan intérieur.
Le soutien à l'Ukraine ne recueille plus le consensus
Au niveau extérieur, ils n'arrivent plus ainsi à s'accorder sur le nécessaire soutien militaire à l'Ukraine. Ce point était depuis février 2022 un facteur de consensus. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Entre ceux qui estiment que le soutien à l'Ukraine commencer à coûter cher et qu'ils préfèrent dépenser en national que via l'Europe (ex. l'Allemagne) et ceux qui estiment qu'aider militairement l'Ukraine est une impasse (Hongrie, Slovaquie, Autriche), une minorité certaine s'est formée pour refuser les dernières propositions du Haut représentant. Même l'ouverture des frontières suscite une levée de bouclier des pays les plus proches (Pologne, Slovaquie, Bulgarie, etc.), pourtant la plupart ardents soutiens de Kiev.
La summa divisio d'Israël et Palestine
L'attaque du 7 octobre du Hamas en terre israélienne a causé un traumatisme, non encore cautérisé, chez les Européens. Elle a fait exploser la ligne de consensus. Au point que l'antique message européen d'une solution à deux États, de peuples vivant pacifiquement côte à côte, avec Jérusalem comme capitale des deux États, le caractère illégal des colonies, etc. semble aujourd'hui impossible à réitérer dans son entier. Pour quelques uns prompts à suivre la stratégie Netanyahu, il faut en finir avec les Palestiniens et réoccuper Gaza. Pour d'autres, la solution à deux États est la seule issue possible. Entre les deux, se meut un marais d'États membres au langage plus flou. Seule l'aide humanitaire aux Palestiniens (et encore !) semble retrouver un semblant d'accord.
Pas d'affectio societatis sur l'avenir européen
Les Européens ne sont pas d'accord sur les questions intérieures vitales. Ni sur le budget futur pour 2024-2027 (dépenser plus ou économiser plus, trouver de nouvelles ressources), ni sur le plan migrations (restreindre encore les règles d'arrivées ou permettre une voie légale limitée pour certains potentiels), ni sur les règles budgétaires (faut-il revenir à une règle plus stricte des déficits et d'endettement et quelle marge laisser aux États membres). Autant de sujets primordiaux
... ni sur les frontières futures
Quant à l'élargissement européen à l'Ukraine, il est devenu aujourd'hui un point crispant. La Hongrie a mis son veto à toute décision du Conseil européen sur ce sujet en décembre. Mais il serait vain de mettre Budapest dans un corner. Plusieurs pays se satisfont en coulisses de ce Nem hongrois de dernière minute, leur permettant d'afficher une position plus généreuse en apparence, et évite d'afficher leurs réticences tout aussi grandes. Bref les Européens ne sont plus d'accord sur le projet européen...
Le nombril du monde
Cette absence de consensus et surtout de décision est dangereuse. Le reste du monde bouge, vite et sans les Européens. La Russie a relevé la tête. La Chine est sûre de son destin de leader mondial, l'Inde s'affirme comme puissance économique. Des puissances régionales, du Brésil à la Turquie en passant par l'Arabie saoudite ou l'Afrique du Sud prennent leurs aises dans ce monde nouveau. Des pays à l'importance plus secondaire — tels le Niger, le Mali, le Burkina Faso — ont déjà jeté par dessus bord l'aide et les "recommandations" européennes, préférant d'autres alliances. D'autres n'hésitent plus à "panacher" leur aide pour ne pas dépendre que des Européens. Et ce mouvement ne semble pas prêt de s'éteindre.
Une Europe en peine de leaders
Face à cette révolution planétaire, l'Europe ne semble pas effet au rendez-vous. Plusieurs Chefs sont sur le départ et non des moindres : le Néerlandais Mark Rutte, le Polonais Morawiecki notamment. D'autres ont de grosses difficultés internes à commencer par le principal d'entre eux, le chancelier allemand Olaf Scholz en proie à des dissensions au sein de sa coalition. Même le Français Emmanuel Macron, vers qui les regards souvent se tournent à la recherche d'une impulsion, est en minorité au Parlement et son gouvernement ne tient qu'à coups d'articles 49-3 (vote bloqué).
Une absence de prise de risques
Le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel, ne brille pas par son opiniâtreté. Si sa perspicacité politique, son sens de la manœuvre sont bien connus, ce n'est en effet pas le courage politique qui l'étreint. Il répugne aux confrontations trop fortes et préfère souvent botter en touche, repoussant à plus tard la résolution des problèmes, nous précise un bon connaisseur de la machine européenne. D'où le nombre de dossiers qui sont "non réglés".
Une majorité rognée par les extrêmes
Enfin la campagne pour les élections européennes semble s'annoncer difficile pour la plupart des dirigeants. Les changements qui s'annoncent — faiblesse des centristes libéraux et des verts, montée attendue de l'extrême droite et des conservateurs — menacent l'équilibre politique européen interne. Ce qui ne facilite pas vraiment un engagement trop fort et des concessions.
Le précipice de l'histoire
Les Européens tout occupés par leur nombril sont-ils en train de perdre pied. Pas encore tout à fait. Mais le précipice n'est pas loin. Si chacun n'y prend pas garde. A force de petite défense des intérêts et de médiocrité, les Européens pourraient passer demain à côté de l'Histoire.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) Si vous n'avez pas encore vu l'exposition de l'artiste graphiste français Jean Jullien au Mima, le musée des arts urbains de Bruxelles, situé dans un quartier en pleine reconversion de Molenbeek au bord du Canal de Bruxelles. Courrez-y.
Cette « première exposition muséale personnelle » en Europe joue les prolongations : jusqu'au 7 janvier prochain. Elle mêle des peintures intimistes de l’artiste, des tableaux naturalistes à des commentaires et réflexions peints directement sur les murs. Les représentations de la mer, les plages, les forêts semblent si réalistes qu'on peut s'attendre à tout moment à se faire surprendre par une vague ou oiseau sorti du tableau.
(Crédit : Jean Jullien / MIMA)Au détour des couloirs, tout en haut presque au pigeonnier du musée, vous pourrez découvrir une fresque géante, présentant sur un demi-cercle, un raccourci de l'histoire des guerres récentes, de l'antiquité à l'actualité, en passant par le Moyen-âge. Édifiant
(Crédit : Jean Jullien / MIMA)(Nicolas Gros-Verheyde)
Au Musée MIMA, Quai du Hainaut 41, Molenbeek-Saint-Jean 1080 jusqu'au 31 décembre 2023
Le site de Jean Jullien