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Diplomacy & Crisis News

Land urgently needed to avert ‘drastic deterioration’ in Burundian refugee camps in neighbouring countries

UN News Centre - Tue, 07/02/2017 - 17:31
Stalled peace talks in Burundi are forcing hundreds to flee every day seeking refuge in neighbouring countries, the United Nations refugee agency warned today, appealing for more support, particularly land to shelter for new arrivals and to ensure protection of children and prevention of sexual and gender-based violence.

Sahara occidental : la paix en suspens

Le Monde Diplomatique - Tue, 07/02/2017 - 16:36

Les tensions récentes entre l'Algérie et le Maroc ont remis à l'ordre du jour un conflit quelque peu oublié, celui du Sahara occidental, qui remonte à près de vingt ans et auquel l'ONU tente d'apporter une solution (1). Les opérations d'enregistrement des électeurs pour le référendum d'autodétermination des populations sahraouies, prévu pour le 14 février 1995, ont débuté fin août 1994, organisées par la commission d'identification de la Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (MINURSO).

Au centre des enjeux, on trouve les 165 000 réfugiés sahraouis qui vivent depuis près de vingt ans en exil, dans des camps installés sur le plateau désertique de Tindouf, en Algérie. Sous l'égide du Front Polisario, la vie sociale s'est rapidement organisée dans les campements et a donné lieu à l'édification d'une société originale, construite sur la base de l'engagement dans une lutte commune pour l'indépendance nationale qui intégrait, comme cela fut le cas pour de nombreux mouvements de libération, un projet progressiste de changement social (2).

Les Sahraouis vivent dispersés. Coupés de ceux qui sont dans les camps, plusieurs dizaines de milliers d'entre eux sont dans les territoires sous contrôle marocain, confrontés à une politique qui allie la surveillance et la répression policières (3), la séduction par les investissements en équipements et l'octroi d'avantages matériels. De nombreuses familles sont également installées depuis plusieurs générations en Mauritanie, en Algérie, au Maroc, d'autres ont émigré dans les années 60 en Europe.

« Dans les camps de réfugiés, il n'existe pas une seule famille qui soit au complet » affirme Hedy, jeune femme médecin formée à Cuba, arrivée dans les campements à l'âge de douze ans, avec sa mère et son frère. Beaucoup ont un père, un frère ou un fils tué à la guerre ou disparu dans les prisons marocaines. L'éclatement des familles et la « mémoire des martyrs » contribuent à entretenir chez les réfugiés leur détermination à poursuivre la lutte.

Les réalisations les plus notables propres à la société des camps concernent l'éducation. Tous les enfants sont scolarisés à partir de l'âge de sept ans dans les écoles primaires situées au niveau des daïras (communes), puis en internats, construits à l'écart des campements (4). Cette généralisation de la scolarité, qui ne concernait auparavant qu'une minorité, s'est accompagnée d'un important travail de sensibilisation des familles.

Selma, psychologue ayant suivi ses études à Oran et qui a en charge le département de formation des institutrices à l'école des femmes, remarque qu' « il est très important de renforcer les liens entre l'école et les mères qui, du fait des mentalités nomades, n'encouragent pas toujours leurs enfants à réussir à l'école ». Le projet de changement social et les nécessités de la vie dans les camps - les hommes sont peu présents, mobilisés pour une bonne part d'entre eux - ont entraîné une évolution du statut des femmes.

Celles-ci assurent désormais diverses responsabilités dans les secteurs de l'administration, de l'action sociale, de la santé et de l'éducation. « Au départ, cela n'a pas été facile précise une responsable de l'Union nationale des femmes sahraouies (UNFS). Pour une femme, avoir une activité professionnelle, s'occuper par exemple des enfants des autres, n'était pas toujours bien accepté et pouvait être perçu comme injuste et peu gratifiant. Mais les choses ont évolué et maintenant les jeunes femmes sont fières des métiers qu'elles exercent et demandent à bénéficier de formations spécialisées (5). »

Définis dès le départ comme prioritaires, les secteurs de la santé et de l'éducation ont progressivement pu élargir leur champ d'action. Ainsi, en 1993 un centre de jour pour enfants handicapés mentaux a été mis en place et il est envisagé de généraliser ce type de structure. Les responsables insistent sur la portée que revêtent ces réalisations non seulement dans le cadre de la vie sociale actuelle, mais aussi pour préparer l'avenir. C'est dans cette double perspective qu'ils gèrent l'aide qu'ils reçoivent des organisations non gouvernementales, des comités de soutien et du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR).

Les Sahraouis parlent un dialecte dérivé de l'arabe classique, le hassanya. La constitution de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) indique que l'islam est la religion d'Etat, mais les Sahraouis tiennent à se définir comme des musulmans tolérants, l'intégrisme leur apparaissant incompatible avec leurs traditions culturelles et religieuses. Toute personne adulte participe à l'un des cinq comités intervenant au niveau communal : santé, approvisionnement, affaires sociales et justice, éducation, artisanat et production. Si, par bien des aspects, l'organisation politique de la vie sociale dans les camps s'apparente à celle des démocraties populaires et de l'ex-URSS, les responsables du Front Polisario ne se sont jamais réclamés d'un projet politique de type communiste.

« Tant qu'on est dans les camps, il ne peut y avoir qu'un seul parti politique. Mais la Constitution prévoit que, après l'indépendance, le multipartisme sera autorisé et qu'il y aura des élections au suffrage universel après une période de transition » indique Ahmed, juriste formé à Alger qui travaille au ministère de la justice. Sur le plan du fonctionnement de l'appareil politique, des évolutions sensibles sont perceptibles. « Aujourd'hui, les jeunes générations n'acceptent plus certaines formes de gestion autoritaire du pouvoir ; il y a eu des débats, des changements réels, et c'est autant de temps de gagné pour l'histoire de notre lutte et de notre peuple » souligne Bechir, professeur d'arabe.

Les populations de l'ouest du Sahara vivaient traditionnellement sur un mode nomade en pratiquant l'élevage (chameaux, caprins, ovins) et le commerce ; elles étaient organisées en castes et en tribus socialement hiérarchisées définissant les positions sociales de chacun (6) - schématiquement aristocratiques ou tributaires. Sous les effets conjugués des grandes sécheresses et d'une expansion plus active de l'administration espagnole (développement des villes et des exploitations minières de fer et de phosphate), elles se sont en partie sédentarisées dans le courant des années 60. Toutefois, les traditions et les mentalités qui demeurent très prégnantes et vivantes autorisent à parler de culture nomade, même lorsque le nomadisme proprement dit n'est plus le mode de vie dominant. Pour les réfugiés, c'est au sein de ce système culturel spécifique et de cet ensemble de valeurs et de pratiques héritées du passé que sont venues se greffer les propositions et les réalisations du mouvement de libération.

L'identification des votants constitue la principale difficulté pour la consultation de février 1995

La dimension la plus fondamentale sous-tendant ces mutations sociales s'inscrit dans les nouvelles références identitaires que, dès le départ, les chefs de file de ce mouvement ont activement cherché à faire partager par l'ensemble de la population des réfugiés : l'appartenance au peuple sahraoui uni dans la lutte pour l'indépendance et la participation à une nouvelle citoyenneté porteuse de progrès social et de liberté. Il s'agissait, et il s'agit toujours, de forger une conscience nationale qui prenne le pas sur les identités tribales dénoncées comme source d'archaïsmes, de divisions et de rivalités. Le défi historique le plus délicat à relever ne réside pas tant dans le combat militaire et diplomatique, mais bien davantage dans la mise en place d'un fonctionnement social susceptible de susciter, sur le long terme, l'adhésion des individus et des groupes sociaux.

« Il ne suffit pas de bannir le tribalisme dans le langage pour le supprimer dans les esprits (7). » Cette remarque, formulée en 1978 par un fondateur du mouvement de libération sahraoui, est toujours d'une actualité brûlante : dans de nombreuses parties du globe, se révèlent toute la complexité et le caractère évolutif des interactions entre la construction des Etats modernes, le nationalisme et les références ethniques, religieuses ou tribales. C'est un syncrétisme entre ces différentes composantes qui a été amorcé au sein de l'Etat et de la société des camps de réfugiés.

Les processus de recomposition sociale et de réaménagement identitaire qu'ont connus les réfugiés sahraouis ne sont, quel que soit l'avenir, certainement pas stabilisés. C'est à la vigilance qu'appellent les responsables de l'UNFS lorsqu'elles soulignent la nécessité de continuer la lutte pour préserver et consolider les acquis ; elles attirent l'attention sur le risque toujours possible d'un retour en arrière, « à l'instar de ce qui s'est passé dans d'autres pays où, après une guerre de libération, la femme s'est retrouvée à nouveau reléguée à un niveau inférieur (8) ».

Lors de la consultation d'autodétermination qui doit se dérouler en février 1995, les Sahraouis habilités à voter auront à se prononcer pour l'indépendance du Sahara occidental ou son intégration au Maroc. La délicate question de l'identification des votants constitue la principale difficulté. Le plan de règlement de l'ONU, accepté par le Front Polisario et le Maroc en décembre 1991, stipule que la base du corps électoral est celle établie en 1974 lors du recensement effectué par l'Espagne, qui avait dénombré 74 000 personnes.

A la veille du référendum initialement prévu en janvier 1992, le Maroc avait proposé une liste complémentaire de 120 000 votants, liste avalisée par M. Perez de Cuellar, le secrétaire général de l'ONU de l'époque. La consultation avait alors été annulée et reportée sine die. Aujourd'hui, les travaux de la commission d'identification ont progressé, mais le Maroc continue de multiplier les prétextes et les obstacles - par exemple à propos de la nomination d'observateurs de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), dont il a contesté pendant des mois la légitimité (9) - pour entraver le bon déroulement des opérations, tout en déclarant : « Nous sommes décidés à appliquer le plan de paix dans son intégralité (10).  » La libération, en juillet 1994, de 424 prisonniers politiques marocains s'était accompagnée d'une déclaration du roi précisant que l'amnistie ne saurait concerner « quiconque ne reconnaît pas la marocanité du Sahara ». De son côté l'Algérie, par la voix de son président, rappelait récemment qu'« il existe toujours en Afrique un pays illégalement occupé ».

Pour le Maroc, la consultation, à laquelle il s'est finalement rallié, devrait se réduire à un référendum confirmatif sur l'intégration du Sahara au royaume chérifien. De son côté, le Front Polisario ne peut accepter un scrutin dont les conditions de préparation et de déroulement ne garantissent pas la libre expression des Sahraouis. Un communiqué de presse publié par le ministère sahraoui de l'information, en juillet 1994, indiquait que la presse internationale a été interdite d'accès à El Ayoun, que les personnes appelées à être identifiées n'ont pas toutes été averties et que les autorités marocaines ont retiré aux citoyens tous les documents espagnols qu'ils possédaient, afin de les empêcher de s'en servir. Cela, précisait le communiqué, « démontre une fois de plus que les choses ne cessent d'évoluer selon la volonté du Maroc et conformément à ses conditions, et que le Maroc continue de dicter à l'ONU la voie à suivre ».

Plusieurs autres interventions du Front Polisario ont attiré l'attention de l'ONU sur les dérives de la procédure d'enregistrement des électeurs. Les autres questions en suspens concernent la réduction des forces armées marocaines implantées au Sahara et fortes actuellement de 200 000 hommes (que l'ONU prévoit de ramener à 65 000 hommes d'ici au 15 décembre 1994) ainsi que la présence d'environ 170 000 colons marocains installés ces dernières années sur le territoire du Sahara occidental. Autant dire qu'en dépit d'avancées notables la perspective d'un référendum impartial et qui marque un terme définitif au conflit du Sahara occidental demeure incertaine.

(1) C'est en janvier 1976 que le Maroc et la Mauritanie ont envahi le territoire du Sahara occidental que l'Espagne, puissance coloniale depuis 1884, leur avait cédé lors des accords tripartites secrètement signés à Madrid en novembre 1975. Le Front Polisario, créé trois années auparavant, accompagne alors l'exode des Sahraouis vers les camps, proclame le 27 février 1976 la fondation d'un Etat indépendant, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), et s'engage activement dans la lutte armée, soutenu par l'Algérie (et, jusqu'en 1984, par la Libye). Après le retrait de la Mauritanie, en 1979, le Maroc a étendu son occupation et contrôle actuellement l'essentiel du territoire, défendu par un « mur de sable », Lire Martine de Froberville, « Sahara occidental : échec au plan de paix », Manière de voir, n° 21, février 1994.

(2) Voir Jean Ziegler, Les Rebelles, Seuil, Paris, 1993.

(3) Voir les rapports qu'Amnesty International a consacrés au Maroc et au Sahara occidental en février et en avril 1993.

(4) Voir Christiane Perregaux, l'Ecole sahraouie ; de la caravane à la guerre de libération, L'Harmattan, Paris, 1987.

(5) Depuis la fin des années 70, de nombreux étudiants sahraouis sont accueillis par divers pays - notamment l'Algérie, la Libye, Cuba, la Syrie - pour suivre des études supérieures dans divers domaines : santé, éducation, formations techniques, etc.

(6) Au sujet de l'histoire et des traditions des populations sahraouies, ainsi que sur l'histoire contemporaine du conflit du Sahara occidental, lire Ahmed-Baba Miské, Front Polisario, l'âme d'un peuple, éditions Rupture, Paris, 1978 ; Claude Bontems, la Guerre du Sahara occidental, PUF, Paris, 1984 ; Tony Hodges, Sahara occidental, l'Harmattan, Paris, 1987.

(7) Ahmed-Baba Miské, op. cit., p 247.

(8) Jari Bulaje, « Las mujeres saharauis », Sahara, independencia y libertad, n° 4, mai-juin 1993.

(9) En 1984, la RASD a été admise à l'OUA comme membre à part entière. Le Maroc s'est alors retiré de l'Organisation. Au sujet des obstacles mis par le Maroc aux activités de la MINURSO dans les territoires occupés, lire « L'ONU discréditée », Témoignage chrétien, 16 mai 1994.

(10) Entretien avec M. Driss Basri, ministre de l'intérieur, Maroc, le Monde, 2 septembre 1994.

Génocides

Le Monde Diplomatique - Tue, 07/02/2017 - 14:50

Récurrent, le débat sur le devoir de mémoire a été relancé par la publication, en français, du livre de Norman Finkelstein, « L'Industrie de l'Holocauste ». Au-delà des critiques justifiées adressées à l'ouvrage, certaines réactions hostiles relèvent de tentatives de manipulation du génocide des juifs. Comme si, sans précédent dans l'histoire, la Shoah ne s'inscrivait pas dans la terrible chaîne des crimes contre l'humanité. Comme si l'universalité des leçons qu'il convient d'en tirer ne garantissait pas sa mémoire. Comme si, pour l'avenir, sa sacralisation n'était pas aussi dangereuse que sa banalisation.

Crise ukrainienne, une épreuve de vérité

Le Monde Diplomatique - Tue, 07/02/2017 - 14:29

Les dirigeants occidentaux ont boycotté les cérémonies du 70e anniversaire de la Libération à Moscou, sous le prétexte de la crise ukrainienne. Afin de résoudre ce conflit, M. Jean-Pierre Chevènement avait rencontré M. Vladimir Poutine le 5 mai 2014, à la demande du président français. Il décrit ici le chemin qui a conduit à la défiance, et dessine les moyens d'en sortir.

Décidée fin 1991 par Boris Eltsine, président de la Russie, et par ses homologues ukrainien et biélorusse, la dissolution de l'Union soviétique s'est déroulée pacifiquement parce que son président, M. Mikhaïl Gorbatchev, n'a pas voulu s'y opposer. Mais elle était grosse de conflits potentiels : dans cet espace multinational, vingt-cinq millions de Russes étaient laissés en dehors des frontières de la Russie (qui comptait 147 millions d'habitants au dernier recensement de 1989, contre 286 millions pour l'ex-URSS), celle-ci rassemblant au surplus des entités très diverses. Par ailleurs, le tracé capricieux des frontières allait multiplier les tensions entre Etats successeurs et minorités (Haut-Karabakh, Transnistrie, Ossétie du Sud, Abkhazie, Adjarie, etc.). Beaucoup de ces Etats multiethniques n'avaient jamais existé auparavant. C'était notamment le cas de l'Ukraine, qui n'avait été indépendante que trois ans dans son histoire, de 1917 à 1920, à la faveur de l'effondrement des armées tsaristes.

L'Ukraine telle qu'elle est née en décembre 1991 est un Etat composite. Les régions occidentales ont fait partie de la Pologne entre les deux guerres mondiales. Les régions orientales sont peuplées de russophones orthodoxes. Les côtes de la mer Noire étaient jadis ottomanes. La Crimée n'a jamais été ukrainienne avant une décision de rattachement imposée sans consultation par Nikita Khrouchtchev en 1954. La tradition de l'Etat est récente : moins d'un quart de siècle. Les privatisations des années 1990 ont fait surgir une classe d'oligarques qui dominent l'Etat plus que l'Etat ne les domine. La situation économique est très dégradée ; l'endettement, considérable. L'avenir de l'Ukraine — adhésion à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) ou neutralité — est ainsi inséparable de la reconfiguration des rapports de forces à l'échelle européenne et mondiale. En 1997, M. Zbigniew Brzezinski écrivait déjà que le seul moyen d'empêcher la Russie de redevenir une grande puissance était de soustraire l'Ukraine à son influence (1).

Un dérapage accidentel

Le rappel des faits est essentiel pour qui veut comprendre. La crise ukrainienne actuelle était prévisible depuis la « révolution orange » (2004) et la première tentative de faire adhérer le pays à l'OTAN (2008). Cette crise était évitable pour peu que l'Union européenne, au moment du lancement du partenariat oriental (2009), eût cadré la négociation d'un accord d'association avec l'Ukraine, de façon à le rendre compatible avec l'objectif du partenariat stratégique Union européenne-Russie de 2003 : créer un espace de libre circulation « de Lisbonne à Vladivostok ».

Il eût fallu, bien entendu, tenir compte de l'intrication des économies ukrainienne et russe. L'Union eût ainsi évité de se laisser instrumentaliser par les tenants d'une extension de l'OTAN toujours plus à l'est. Au lieu de quoi, Bruxelles a mis l'Ukraine devant le dilemme impossible d'avoir à choisir entre l'Europe et la Russie. Le président ukrainien, M. Viktor Ianoukovitch, a hésité : l'offre russe était, financièrement, nettement plus substantielle que l'offre européenne. Il a demandé le report de la signature de l'accord d'association qui devait être conclu à Vilnius le 29 novembre 2013.

J'ignore si le commissaire européen compétent, M. Stefan Füle, a pris ses directives auprès de M. José Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne, et si le Conseil européen a jamais délibéré d'une question qui portait en germe la plus grave crise géopolitique en Europe depuis celle des euromissiles (1982-1987). Le président Poutine a déclaré s'être vu refuser par les autorités européennes (MM. Barroso et Herman Van Rompuy) en janvier 2014, toute possibilité de discuter du contenu de l'accord d'association avec Kiev, sous le prétexte de la souveraineté de l'Ukraine.

Le report de la signature de l'accord par le président Ianoukovitch a été le signal des manifestations dites « proeuropéennes » de Maïdan, qui allaient aboutir, le 22 février 2014, à son éviction. Que l'Union européenne fasse rêver une partie notable de l'opinion ukrainienne est compréhensible. On doit cependant se poser la question de savoir si la Commission européenne était mandatée pour promouvoir les normes et les standards européens à l'extérieur de l'Union. Les manifestations de Maïdan ont été encouragées sur place par les multiples visites de responsables européens, mais surtout américains, souvent éminents (2), tandis qu'organisations non gouvernementales et médias initiaient une véritable guerre de l'information. Ce soutien explicite à des manifestations dont le service d'ordre était assuré pour l'essentiel par des organisations d'extrême droite — Praviy Sektor et Svoboda — ne prêtait-il pas à confusion entre ce qui était du ressort de l'Union européenne et les initiatives de l'OTAN, quand ce n'étaient pas celles de Washington et de ses services ? L'« exportation de la démocratie » peut revêtir des formes diverses.

La non-application de l'accord du 21 février 2014, qui prévoyait une élection présidentielle à la fin de l'année, et l'éviction inconstitutionnelle, dès le lendemain, d'un président qui avait sans doute beaucoup de défauts, mais qui fut quand même élu, peut passer pour une « révolution » ou pour un coup d'Etat. C'est cette dernière interprétation qui a prévalu à Moscou. Bien que la Crimée ait été russe avant 1954, il n'est guère contestable que la décision d'organiser son rattachement à la Russie, même couverte par un référendum, a été une réaction disproportionnée. Elle est contraire au principe constamment affirmé par la Russie du respect de l'intégrité territoriale des Etats, notamment quand ce principe fut bafoué par le détachement du Kosovo de la Yougoslavie. M. Poutine, en Crimée, a fait passer les intérêts stratégiques de la Russie en mer Noire avant toute autre considération, redoutant sans doute que le nouveau gouvernement ukrainien ne respecte pas l'accord donnant Sébastopol en bail à la Russie... jusqu'en 2042 !

Cette crise a donc été un dérapage accidentel. L'annexion de la Crimée n'était pas programmée : M. Poutine clôturait, fin février, les Jeux olympiques de Sotchi, qui se voulaient une vitrine de la réussite russe. Il a surréagi à un événement que l'Union européenne n'avait pas non plus programmé, même si elle l'a encouragé par imprudence. Il est clair qu'elle a été débordée par des initiatives venues d'ailleurs, même si elles trouvaient en son sein des relais importants. La question posée aujourd'hui est de savoir si les Européens vont pouvoir reprendre le contrôle de la situation.

M. Poutine n'avait sans doute pas prévu que les Etats-Unis allaient se saisir de l'annexion de la Crimée pour édicter des sanctions d'abord limitées (juillet 2014), puis beaucoup plus sévères (septembre). Début mai 2014, il se déclarait prêt à circonscrire le conflit. Il encourageait les régions russophones à trouver une solution à leurs problèmes à l'intérieur de l'Ukraine. Le 10 mai, M. François Hollande et Mme Angela Merkel évoquaient, à Berlin, une décentralisation de l'Ukraine à inscrire dans sa Constitution. Le 25 mai, le président Petro Porochenko était élu et immédiatement reconnu par Moscou. Le « format de Normandie » (Allemagne, France, Russie, Ukraine) était ébauché le 6 juin. La crise paraissait pouvoir être résorbée pacifiquement.

Mais tout dérape à l'été : les autorités de Kiev lancent vers les « républiques autoproclamées » une « opération antiterroriste », qui dresse contre elles la population du Donbass. L'affaire tourne court du fait du délitement de l'armée ukrainienne, malgré le soutien de « bataillons de volontaires » pro-Maïdan. Signés le 5 septembre, les accords de Minsk I proclament un cessez-le-feu. Six jours plus tard, le 11 septembre, des sanctions sévères commencent à être mises en œuvre par les Etats-Unis et par l'Union européenne, officiellement pour garantir l'application du cessez-le-feu. Par le canal des banques, tétanisées par les sanctions américaines, le commerce eurorusse va se trouver progressivement freiné sinon paralysé. La Russie décrète des contre-sanctions dans le domaine alimentaire et se tourne vers les « émergents », particulièrement vers la Chine, pour diversifier son commerce extérieur et ses coopérations industrielles.

Dans le même temps, les cours du brut s'effondrent. Le rouble dévisse de 35 à 70 roubles pour un dollar fin 2014. Faute de suivi, les accords de cessez-le-feu s'enlisent. Kiev lance une seconde offensive militaire, qui finit par échouer comme la première. Grâce à l'initiative des chefs d'Etat réunis par M.Hollande, de nouveaux accords, dits « Minsk II », sont signés le 12 février 2015.

Le piège se referme : les sanctions occidentales sont faites, en principe, pour être levées. Or, si le volet militaire des accords de Minsk II s'applique à peu près, le volet politique reste en panne. Il obéit à une séquence bien définie : vote d'une loi électorale par la Rada (le Parlement ukrainien), élections locales dans le Donbass, réforme constitutionnelle, loi de décentralisation, nouvelles élections, et enfin récupération par Kiev du contrôle de sa frontière avec la Russie. Mais, le 17 mars dernier, la Rada adopte un texte qui bouleverse cette séquence en faisant du « retrait des groupes armés » un préalable. Le blocage du volet politique des accords de Minsk par le gouvernement de Kiev oriente en réalité le conflit ukrainien vers un « conflit gelé ». La levée des sanctions est ainsi prise en otage dans un cercle vicieux. En principe, elles ne peuvent être reconduites qu'à l'unanimité. En réalité, c'est la « loi du consensus » qui risque de s'appliquer : déjà, Mme Merkel a annoncé, le 28 avril 2015, que les sanctions européennes seraient probablement reconduites fin juin.

Nous sommes en présence d'une guerre qui ne dit pas son nom. Le débat feutré entre ceux qui souhaitent — généralement à voix basse — le maintien du partenariat eurorusse tel qu'il avait été conçu au début des années 2000 et les partisans d'une politique d'endiguement, voire de refoulement de la Russie, c'est-à-dire en fait d'une nouvelle guerre froide, reflète un heurt de volontés entre Washington et Moscou. Une guerre par procuration se déroule sur le terrain. Elle oppose d'une part l'armée ukrainienne et les « bataillons de volontaires » soutenus par les Etats-Unis et leurs alliés, et d'autre part les milices dites « séparatistes », qui trouvent leur appui d'abord dans la population de l'Est russophone et, bien sûr, dans une aide russe parée aux couleurs de l'aide humanitaire. La poursuite de ce conflit peut conduire à faire de l'Ukraine un brandon de discorde durable entre l'Union européenne et la Russie. A travers une véritable croisade idéologique largement relayée, Washington cherche à la fois à isoler la Russie et à resserrer son contrôle sur le reste de l'Europe.

Les hérauts d'une nouvelle guerre froide nous décrivent la Russie comme une dictature fondamentalement hostile aux valeurs universelles et qui aspirerait à reconstituer l'URSS. Pour ceux qui connaissent la Russie d'aujourd'hui, cette description est outrée, voire caricaturale. La popularité de M. Poutine tient à la fois au redressement économique qu'il a su opérer dans un pays qui avait perdu la moitié de son produit intérieur brut dans les années 1990 et au coup d'arrêt qu'il a su donner à la désagrégation de l'Etat. Son projet n'est pas impérial, mais national. C'est un projet de modernisation de la Russie, étant donné bien évidemment que celle-ci, comme tout Etat, a des intérêts normaux de sécurité.

On peut évidemment tenter de ranimer de vieilles peurs : il en est qui prennent Le Pirée pour un homme (3) et M. Poutine pour un pays. La Russie est en fait en pleine transformation. Sa société est marquée par la montée de couches moyennes nombreuses, qui contestaient souvent le retour de M. Poutine au pouvoir en 2012, mais qui lui semblent aujourd'hui ralliées. Même M. Mikhaïl Gorbatchev considère que l'Occident, depuis 1991, a traité injustement la Russie comme un pays vaincu, alors que le peuple russe est un grand peuple évidemment européen (4). Est gommé le fait qu'il a payé le tribut le plus lourd dans la guerre contre l'Allemagne nazie. Nous assistons ainsi à une véritable réécriture de l'histoire, comme si l'anticommunisme devait éternellement survivre au communisme.

Russophobie médiatique

Les bases matérielles de la guerre froide — l'opposition de deux systèmes économiques et idéologiques antagonistes— n'existent plus. Le capitalisme russe a certes ses spécificités, mais c'est un capitalisme parmi d'autres. Les valeurs conservatrices affirmées par M. Poutine visent surtout, dans son esprit, à cicatriser les plaies ouvertes pendant la parenthèse de soixante-dix ans qu'a été le bolchevisme dans l'histoire russe.

Le véritable enjeu de la crise ukrainienne actuelle est la capacité de l'Europe à s'affirmer comme un acteur indépendant dans un monde multipolaire ou, au contraire, sa résignation à une position de subordination durable vis-à-vis des Etats-Unis. La russophobie médiatique relève d'un formatage de l'opinion comparable à celui qui avait accompagné la guerre du Golfe en 1990-1991. Cette mise en condition de l'opinion repose sur l'ignorance et l'inculture s'agissant des réalités russes contemporaines, quand ce n'est pas sur une construction idéologique manichéenne et manipulatrice.

La Russie manifeste une capacité de résilience certaine. Il appartient à la France d'incarner, dans le format de Normandie dont elle a pris l'initiative, l'intérêt supérieur de l'Europe. Il est difficile d'accepter que notre politique extérieure soit entravée par des courants extrémistes ou révisionnistes. Pour ma part, je ne mets pas un signe d'égalité entre le communisme et le nazisme, comme le font les « lois mémorielles » votées par la Rada de Kiev le 9 avril dernier. Dans la crise ukrainienne, l'Allemagne conservatrice de Mme Merkel me paraît beaucoup trop alignée sur les Etats-Unis. Elle peut être tentée d'abandonner provisoirement son Ostpolitik traditionnelle vers la Russie pour une percée vers l'Ukraine. Le nombre des implantations industrielles allemandes en Ukraine atteignait mille huit cents en 2010, contre cinquante pour la France. L'Ukraine prolonge naturellement le bassin de main-d'œuvre à bas coût de la Mitteleuropa, avantage comparatif pour l'industrie allemande, que l'augmentation des salaires dans les pays d'Europe centrale et orientale tend aujourd'hui à éroder. L'Allemagne doit convaincre les Européens qu'elle n'est pas le simple relais de la politique américaine en Europe, comme pourrait le faire penser l'instrumentalisation du BND (5) par la National Security Agency (NSA). Le format de Normandie doit être le moyen de faire appliquer Minsk II, bref, de lever l'opposition de l'Ukraine à l'application du volet politique de l'accord. Et l'Europe détient des leviers financiers.

Il est temps qu'une « Europe européenne » se manifeste. Elle pourrait d'abord essayer de convaincre les Etats-Unis que leur véritable intérêt n'est pas de bouter la Russie hors de l'« Occident », mais de redéfinir avec elle des règles du jeu mutuellement acceptables et propres à restaurer une confiance raisonnable.

(1) Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier.L'Amérique et le reste du monde, Fayard/Pluriel, Paris, 2011 (1re éd. : 1997).

(2) Notamment Mme Victoria Nuland, secrétaire d'Etat adjointe américaine pour l'Europe et l'Eurasie, le sénateur américain John McCain ou le ministre allemand des affaires étrangères Guido Westerwelle.

(3) Que le lecteur veuille bien excuser cette référence à La Fontaine [Le Singe et le Dauphin]. Ses fables décrivent encore notre univers...

(4) Discours de Berlin, 9 novembre 2014.

(5) Bundesnachrichtendienst : service de renseignement allemand.

NATO-Russia Relations in a Post-Truth World

Foreign Policy Blogs - Tue, 07/02/2017 - 13:08

The so-called post-truth era was a fundamental element in shaping international relations in 2016. There is no doubt that Russia actively helped spread a malicious post-truth worm to put the world out of kilter. Through its actions, Moscow targeted multiple institutions, organizations, and countries.

Russia also made an extraordinary effort to undermine the coherence, unity, and indivisibility of NATO. Moscow accused the alliance of being unable to adapt to an emerging new world order. In fact, Russian actions were aimed at holding NATO-Russia relations hostage in a post-truth world. Unexpectedly, at the beginning of 2017, the Russian Foreign Ministry spoke out in favor of a reset with NATO. Yet the Kremlin’s maneuvers in previous months suggest this may be just another post-truth ruse.

In July 2016, despite Russia’s ongoing aggression against Ukraine and bombing of Syria, NATO decided at its summit in Warsaw to put a genuine offer of dialogue with Russia on the table. NATO’s approach would be geared toward “periodic, focused and meaningful dialogue . . . on the basis of reciprocity.” The alliance’s goals were clear: to discuss the Russia-Ukraine conflict; to avoid misunderstanding, miscalculation, and unintended escalation; and to increase transparency and predictability. Most importantly, as stated in the summit communiqué, this dialogue was aimed at “a Russia willing to engage.”

A NATO-Russia Council meeting was convened on July 13, 2016, just four days after the summit. The alliance presented a briefing on the outcomes of the summit, a move that—based on the principles outlined by NATO—Russia should have reciprocated. To increase transparency in mutual relations, NATO would welcome a briefing on developments such as Russia’s decision to create three new military divisions in its Western Military District. At the same time, allies continued to suggest concrete options to enhance predictability and transparency in the Euro-Atlantic area.

After six months, it is clear that Russia, by contrast, has chosen a path of confrontation. The NATO-Russia Council meeting on December 19, 2016, proved that the West is still waiting for a Russia willing to engage. The Russian Foreign Policy Concept approved on November 30, 2016, shows how Moscow’s priorities pivoted from the economy to security and defense. And Russia’s actions in the last half year demonstrate that Moscow continues to treat the West like a rival in a zero-sum game.

Russia has interfered in the domestic affairs of Western states by combining cyberattacks with information and intelligence operations. In an unprecedented way, Russia intentionally subverted the 2016 U.S. presidential election, as was ultimately confirmed by the FBI, the CIA, and the director of national intelligence.

Moscow has further destabilized eastern Ukraine, including through ongoing direct involvement in the conflict by providing military, organizational, and financial support to militants. Russia neither complied with the Minsk agreements aimed at ending the conflict nor showed willingness to de-escalate the tense situation on the ground. On the contrary, in November 2016 alone, the Organization for Security and Cooperation in Europe (OSCE) Special Monitoring Mission to Ukraine recorded the highest number of explosions caused by mortars, tanks, artillery, and rocket systems since the beginning of the conflict.

Elsewhere in Europe, Russia has heightened its military activities near NATO borders, including large-scale drills involving up to 120,000 military personnel and civilians and snap exercises. Russia continued to provoke dangerous military incidents and violated allied airspace. It deployed offensive missile systems—including the nuclear-capable Iskander system—and warships to the Baltic Sea and Black Sea regions. These deployments enhanced Moscow’s existing anti-access and area denial (A2/AD) capabilities.

Russia has also strengthened its aggressive nuclear-related signals, including through statements and bomber flights. Moscow has used this nuclear muscle flexing and saber rattling as a tool of psychological influence.

In October 2016, Russia allegedly participated in a plot to kill the prime minister and install a new government in Montenegro, soon to be a member of NATO.

Meanwhile in Syria, Russia’s approach to the conflict has included both massive bombing campaigns and the impediment of a political process. Also in October 2016, Moscow for the fifth time vetoed a UN resolution aimed at stopping the bombing of Aleppo.

The year 2017 might be a watershed moment for the liberal global order. NATO, a crucial transatlantic anchor, has a vital role to play in restoring a truth-based world. NATO-Russia relations will be instrumental to reaching that goal. In 2017, NATO and its allies need an action plan based on three pillars.

First, the alliance must fully implement the decisions made at the Warsaw summit on deterrence and defense. NATO needs a strategic six pack of measures to strengthen its long-term adaptation to a new military reality at its borders. This toolbox should embrace defense expenditure; capabilities to counter A2/AD systems; an ambitious policy of exercises; robust intelligence, surveillance, and reconnaissance capabilities; a revised NATO command structure; and a fully integrated approach to strategic communications.

Second, NATO should deepen dialogue with Russia on issues that require immediate attention. Among them are the snap exercises that Moscow uses as a tool of intimidation but that might also serve as camouflage for military action. Russian snap exercises are a dangerous escalatory instrument that could further destabilize the Euro-Atlantic region. A meaningful discussion on that issue might bring back the necessary elements that could help dismantle the post-truth world: predictability and transparency.

Finally, allies need to continue to constructively engage with Russia in the OSCE framework. At the OSCE Ministerial Council meeting in Hamburg in December 2016, all members, including Russia, agreed to launch a structured dialogue on the challenges and risks to security in the OSCE area. This initial positive signal from Moscow requires special attention, as the declaration might boost the organization’s role as a platform for a dialogue on security issues. Such a structured dialogue should be reinforced by the modernization of existing instruments.

Together, these three steps would show NATO’s ability to enhance deterrence and conduct dialogue as it waits for a Russia willing to engage. Strategic patience has always been NATO’s strong suit.

Dominik P. Jankowski is head of the OSCE and Eastern Security Unit at the Polish Ministry of Foreign Affairs. The views and opinions expressed here are the author’s and do not necessarily reflect the official positions of the institution he represents.

This article was originally published by Carnegie Europe.

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Des missionnaires aux mercenaires

Le Monde Diplomatique - Tue, 07/02/2017 - 12:38
Aurélie piau. — « Le Sacré Pouvoir d'H A », 2011 aurelie-piau.blogspot.fr

Quel fil peut bien relier les ministres ou anciens ministres Emmanuel Macron, Fleur Pellerin et Najat Vallaud-Belkacem, la présidente du conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse, les journalistes Jean-Marie Colombani et Christine Ockrent, l'homme d'affaires Alain Minc, le banquier Matthieu Pigasse (l'un des propriétaires du Monde SA) ou encore l'ancien premier ministre Alain Juppé ? Tous ont effectué un passage par la French-American Foundation dans le cadre de son programme « Young Leaders ». Tout comme cinq cents autres personnalités françaises, parmi lesquelles le président François Hollande lui-même.

Depuis 1981, cette fondation privée organise des séminaires de deux ans où une douzaine de jeunes Français côtoient les élites américaines de la même classe d'âge. Officiellement, l'objectif est de favoriser le dialogue franco-américain. En réalité, il s'agit de bien faire comprendre aux futurs décideurs français — entrepreneurs, responsables politiques, journalistes — les bienfaits de la mondialisation à l'anglo-saxonne. Certes, on constatera ultérieurement que, ici ou là, l'opération de séduction a échoué (avec M. Nicolas Dupont-Aignan, par exemple). Mais, dans l'ensemble, ces jeunes gens effectueront une brillante carrière au sein des structures de pouvoir et dans les affaires. Des personnalités qui ne feront pas dans l'antiaméricanisme…

Ce programme est révélateur de la stratégie d'influence des États-Unis. Celle-ci s'exerce de manière encore plus spectaculaire à travers le pantouflage des élites, notamment européennes, dans de grandes entreprises américaines. Dernier exemple en date — ô combien symbolique : la décision de M. José Manuel Barroso de rejoindre la banque Goldman Sachs. L'ancien président de la Commission européenne va mettre son expérience et son carnet d'adresses — où figurent notamment tous les dirigeants politiques de l'Union — au service de ce prestigieux établissement… qui a participé au maquillage des comptes de la Grèce pour lui faire intégrer l'euro.

M. Barroso n'est pas le seul commissaire à se reconvertir dans des fonctions lucratives : ce fut le cas récemment de Mme Neelie Kroes (Bank of America) et de M. Karel De Gucht, négociateur et thuriféraire du grand marché transatlantique (CVC Partners). M. Mario Draghi est, quant à lui, directement passé de Goldman Sachs à la présidence de la Banque d'Italie, puis à celle de la Banque centrale européenne (BCE) (1).

Ces allers-retours entre public et privé relèvent de pratiques courantes aux États-Unis. Sous la présidence de M. William Clinton, les instigateurs de l'abrogation — réclamée par Wall Street — du Glass-Steagall Act de 1933, qui séparait banques de dépôt et banques d'affaires, se sont facilement reconvertis dans de grands établissements financiers. Le big business sait récompenser ceux qui l'ont bien servi. À la tête de la Réserve fédérale (FED) de 2006 à 2014, M. Ben Bernanke a favorisé la création monétaire au profit des acteurs financiers en déversant 8 000 milliards de dollars dans l'économie au nom du sauvetage des banques. En 2015, il a intégré Citadel, l'un des principaux fonds d'investissement du pays. La même année, M. Timothy Geithner, l'un des protégés de M. Clinton, ancien secrétaire au Trésor de M. Barack Obama, a rejoint Warburg Pincus, un grand fonds d'investissement.

Le monde des affaires sait aussi miser sur ceux qui, demain, pourront faire prévaloir ses intérêts, lui ouvrir les portes des administrations, relayer son discours. Aux États-Unis, bien sûr, mais aussi dans le reste du monde. Cette stratégie permet de rendre désuet le recours aux pots-de-vin et autres enveloppes. Plus besoin de corrompre ! Fini aussi le chantage direct, les menaces, pour obtenir un marché ou des renseignements. On fait désormais dans le soft power, le lobbying.

Le coup d'envoi en France de cette stratégie de l'influence, que d'aucuns pourraient qualifier de trafic d'influence, a été donné en 1986 lorsque Simon Nora, figure tutélaire et emblématique de la haute administration, a intégré à 65 ans la banque d'affaires Shearson Lehman Brothers, devenue par la suite Lehman Brothers. Au cours de la décennie 1990, la mondialisation a accéléré le pantouflage. Désormais, les grands établissements financiers américains, qui veulent pénétrer le marché français et européen, font leurs emplettes au sein de l'élite hexagonale. Toute une génération d'énarques et d'inspecteurs des finances approche de l'âge de la retraite. Leur salaire en tant que hauts fonctionnaires, dirigeants de banques hier nationalisées ou de grandes entreprises, pour être correct, n'avait cependant rien à voir avec ceux pratiqués outre-Atlantique. Banques et fonds d'investissement leur font miroiter la perspective de gagner en quelques années autant que durant toute leur carrière passée. Tentant ! D'autant qu'ils éprouvent le sentiment d'aller dans le sens de l'histoire.

C'est ainsi qu'en 1989 Jacques Mayoux, lorsqu'il était fonctionnaire, président de la Société générale, est devenu le représentant de Goldman Sachs à Paris. Il a été suivi de beaucoup d'autres. À commencer par M. Philippe Lagayette, ancien directeur de cabinet de M. Jacques Delors lorsqu'il était ministre de l'économie, des finances et du budget, ancien directeur général de la Caisse des dépôts, qui rejoignit JP Morgan en 1998. Les énarques dits « de gauche » ne sont pas les derniers à succomber aux sirènes de ce capitalisme de connivence. Ces personnalités sont choisies et touchent de confortables honoraires pour ouvrir les portes et pour faciliter les fusions et les rachats d'entreprises françaises que lanceront les banques.

Au fil des ans, des centaines de sociétés sont passées de main en main par le biais d'achats à effet de levier (leverage buy-out ou LBO). Chaque fois, les banques d'affaires touchent une commission, leurs dirigeants français ayant bien mérité leurs émoluments. Peu importe, finalement, que la France se désindustrialise, que les salariés soient licenciés pour accroître le rendement du capital, que les déficits commerciaux se creusent. L'essentiel n'est-il pas de saisir la vague de cette finance triomphante ? Hier, ou plutôt avant-hier, les fonctionnaires issus des grands corps de l'État — s'ils pantouflaient déja — s'estimaient investis d'une mission : ils servaient la nation. À partir des années 1990, les mentalités changent. La mondialisation a transformé les missionnaires en mercenaires. Le capitalisme débridé a remplacé le capitalisme d'État.

Ce mouvement s'est amplifié au fil des ans. En 2004, M. Charles de Croisset, ancien président du Crédit commercial de France (CCF), a marché dans les traces de Mayoux en devenant conseiller international chez Goldman Sachs et vice-président de Goldman Sachs Europe. Les branches françaises des cinq grandes banques d'investissement américaines sont toutes dirigées par un énarque (2). M. Jean-François Cirelli, ex-dirigeant de Gaz de France et d'Engie, ancien membre du cabinet du président Jacques Chirac, vient de rejoindre la filiale pour la France et le Benelux de BlackRock. Peu connu du grand public, ce fonds est le premier gestionnaire d'actifs du monde (5 000 milliards de dollars).

Tout aussi symbolique est le parcours de Mme Clara Gaymard. Cette énarque, épouse de M. Hervé Gaymard, ministre de M. Chirac, avait été nommée en 2003 déléguée aux investissements internationaux. De quoi étoffer son carnet d'adresses, l'un des plus fournis de l'énarchie. En 2006, General Electric (GE) lui proposa de prendre la tête de son antenne France, puis la vice-présidence de GE International, l'entité chargée des grands comptes et des relations avec le gouvernement. Elle a servi d'intermédiaire lors du rachat par GE de la division énergie d'Alstom, au printemps 2014. Une fois l'opération achevée, le président du groupe, M. Jeffrey R. Immelt, s'est séparé d'elle brusquement, mais, soyons-en sûrs, avec de bonnes compensations. Pendant dix ans, Mme Gaymard a été l'un des relais essentiels de l'influence américaine en France : membre de la Trilatérale (3), présidente de la Chambre américaine de commerce, membre du conseil d'administration de la French-American Foundation.

Proposer de belles fins de carrière aux seniors, miser sur quelques personnages-clés dans le Tout-Paris médiatico-politique, investir dans de jeunes cadres prometteurs : tels sont les axes de ce soft power qui s'exerce aux quatre coins de la planète. Cet investissement dans la jeunesse se retrouve dans le cas d'Alstom : à la demande du gouvernement français, GE a promis de créer 1 000 emplois nets en France sur trois ans. Mais le groupe s'est au passage engagé à recruter 240 jeunes de haut niveau à la sortie des grandes écoles pour ses « programmes de leadership ». Ces derniers se verront proposer une carrière accélérée chez GE, aux États-Unis et dans le reste du monde. Une opération fort habile de captation des cerveaux ; une manière aussi de vider un peu plus la France de ses forces vives.

Car l'expatriation des capitaux s'accompagne désormais d'un exode des jeunes diplômés vers les États-Unis, mais aussi vers Londres, Singapour ou ailleurs. Ce sont bien souvent les enfants de cette nouvelle caste de managers mercenaires, les relations des parents aidant à leur trouver des postes intéressants dans les multinationales. Dans ce monde globalisé, les élites françaises ont adopté les mêmes comportements et les mêmes ambitions que leurs homologues américaines.

(1) Lire Vicky Cann, « De si confortables pantoufles bruxelloises », Le Monde diplomatique, septembre 2015.

(2) Cf. Jean-Pierre Robin, « Créer son fonds d'investissement, ainsi font font font les petites marionnettes », Le Figaro, Paris, 17 octobre 2016.

(3) Créée en 1973 par M. David Rockefeller, la Commission trilatérale a pour but de resserrer les liens entre les États-Unis, l'Europe et le Japon. Lire Diana Johnstone, « Une stratégie “trilatérale” », Le Monde diplomatique, novembre 1976.

Article mis à jour le 20 janvier 2017 : Jacques Mayoux n'est pas le père de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Muslim Refugees and a Muslim (Host) Nation in South Asia

Foreign Policy Blogs - Tue, 07/02/2017 - 11:52

U.S. President Donald Trump’s executive orders with regards visa restrictions for people from seven Muslim-majority states has generated heat across the globe. At the same time, Bangladesha Muslim majority state in the Indian subcontinentis planning to send refugee Rohingya Muslims from neighboring Myanmar to a low-lying island in the Bay of Bengal that critics say is ‘unlivable’.

According to available records, nearly 70,000 Rohingyas from Myanmar’s Muslim-majority areas in the north have fled to Bangladesh ever since the Myanmar military launched a fierce crackdown last October that led to the killings of over 100 Rohingyas and widespread damage to their protests.

The government action was aimed at nabbing unidentified Rohingya insurgents who were alleged to have killed nine Myanmar police personnel on October 9th at three border posts in the district of Maungdaw.

About 2,500 Rohingya families have since taken refuge at a makeshift camp in eastern Bangladesh’s Cox’s Bazar near the border with Myanmartaking the number of Rohingya in Bangladesh, both the old refugees and the current ones, to an estimated 500,000 as per some estimates.

But in January, Bangladesh brought out an old and much-maligned 2015 plan from the cold storage and proposed to move all Myanmar refugees, old and new, to the island of Thengar Char, which is totally isolated and gets easily flooded on high tide days.

Defending the move, Shahriar Alam, Bangladesh’s junior foreign affairs minister, said that the “move is temporary, as Myanmar would eventually take back its citizens”.

News agency Reuters quoted him saying, “After considering all aspects, we have taken a firm decision to shift them to the island.”

The move, however, does not have a clear timeframe currentlyand might begin after proper shelters are in place on the island. But one thing that Alam was adamant upon was this: “Myanmar will have to take them back.” Read ‘soon’ between the lines.

More than the current place of residence, it is the question of their identity itself that has placed the Rohingyas between the rock and a hard place. The Myanmar authorities often call them ‘Bengali Muslims’, thereby inferring that they are actually (illegal) immigrants from Bangladesh. Bangladesh, in turn, refers to them as ‘Muslim nationals of Myanmar’.

Compare it with the global umbrage directed at non-Muslim nations for identifying refugees by their religion.

Giving a sense of déjà vu with regards the turmoil in the developed world about the issue of refugees, Bangladesh is resisting the prospects of the Rohingya refugees ‘mixing with Bangladeshi citizens’.

In a January 26th release on a Bangladesh government website, it was informed that several panels were being set up by the government to examine the influx of Rohingya Muslims, which the country fears could lead to law and order issues as they mix with residents.

“There’s a fear that the influx of Rohingya Muslims from time to time will lead to a degradation of law and order situation, spread communicable diseases … and create various social and financial problems,” the notice elaborated.

Going a step further, Alam said to Reuters in an almost Donald Trump style, “They are getting involved in drugs and other unlawful activities. If we could have confined them in the camp, it would not have happened.”

Apart from Trump, many of the nationalist leaders of Europe have said something similar. The outrage directed at them has been soul-numbingly deafening. Maybe it would have helped if they were all spokespersons of Muslim nations too.

Meanwhile, Myanmar says it is “ready to talk” about the repatriation of Rohingyasbut only of those who left the country after October 9th, 2016. It says it cannot take Bangladesh’s word about all the refugees being Myanmar nationals.

In other words, a certain group is being allegedly persecuted by its native administration. But when that group tries to seek refuge in another country, it finds itself unwelcome there. But then, there is no way back home either.

Sounds familiar?

And therein lies the point. This writing is neither about the actions of Bangladesh and Myanmar, nor the current and historical state of affairs of the Rohingya Muslims. It is about requesting all of us to stop being both savage and (savagely) holier-than-thou on the issue of refugees. It is a matter of a monumental human challenge, and taking sides blindly and fanatically would not be, well, human.

Listen to the opposing voices of the host nations too. It is not always merely about xenophobia/’religio’phobia.

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Mattis Relieves Tokyo for Now. But Will Trump Turn the Screws?

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 19:34
Foreign leaders are wondering whether they can trust the president -- or if they'll have to work with subordinates.

Give Trump’s National Security Team Some Time. They’re Just Getting Started.

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 19:16
The president continues to be irascible toward allies, imperturbable toward Russia, and acting with reckless disregard for consequences. But his team ain't so bad.

What Exactly Is Going on Between Russia and Belarus?

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 19:13
Lukashenko is speaking as though there’s a new development to watch. In reality, it’s a repeat performance.

Kiev Is Fueling the War in Eastern Ukraine, Too

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 18:37
A muted White House isn't just emboldening the Kremlin -- it's inciting the politics of war throughout Ukraine.

Turkey Rounded Up Over 800 Islamic State Suspects in Massive Anti-Terror Op

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 18:30
Turkey tries to push the terror group back on the defensive.

Maximilien Decroux. Au-delà du mime…

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:23

En France, l'art du mime est souvent associé à Bip, le personnage créé par Marcel Marceau en 1947. La discipline a pourtant traversé l'histoire, prenant les formes les plus différentes : des Grecs — « imitateurs de génie » selon les auteurs, aux comédiens sans texte ni décor — jusqu'à aujourd'hui, en passant par les mimes blancs du XIXe siècle (le fameux Pierrot). À Paris, dans les années 1940, Étienne Decroux développe une grammaire gestuelle poétique : le « mime corporel ». S'éloignant de la pantomime, il estime que « le mime consiste à produire du virtuel, non à restituer le connu : c'est un acte, non une redite ». Plus tard, son fils Maximilien reprendra le flambeau en l'adaptant. Artiste d'inspiration comique, interprète, pédagogue, il défend le mime comme un art vivant, complet et autonome. Il sera le premier à faire dialoguer le langage du corps avec d'autres : la poésie, les musiques électroniques… Un ouvrage qui aide Maximilien à sortir, enfin, de l'ombre de son père.

Riveneuve - Archimbaud Éditeur, Paris, 2015, 286 pages, 20 euros.

Chacun son chemin (Separate Way)

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:22

En 1936, Objectivist Press, fondé sous le parrainage de William Carlos Williams par les poètes du mouvement objectiviste — notamment George Oppen, Louis Zukofsky et Charles Reznikoff lui-même —, publie Chacun son chemin (Separate Way), ici présenté en édition bilingue : treize poèmes de formes variées dressant un portrait inquiet des années 1930, entre contemplations solitaires dans les rues de New York, prières de paix pour le peuple juif, récits de massacres (la guerre civile autrichienne de 1934) et tableaux de la misère contemporaine. Le poème Dépression décrit ainsi avec une précision dévastée les conséquences de la crise de 1929 : « Ils descendaient la rue à deux ou trois / parlant d'emplois / d'emplois qu'ils obtiendraient peut-être, d'emplois qu'ils avaient eus / sans jamais se tourner pour regarder les arbres ou le fleuve / scintillant au soleil. » La traduction d'Eva Antonnikov restitue le lyrisme contenu et l'enthousiasme fragile qui font la manière de Reznikoff, poète peu connu (même s'il fut jadis édité en France par P.O.L) nous invitant aujourd'hui à poursuivre sa quête lumineuse : « La tâche de l'homme n'est pas encore finie. »

Héros-Limite, Genève, 2016, 80 pages, 12 euros.

Musiques noires. L'Histoire d'une résistance sonore

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:22

Dans cet ouvrage collectif, Jérémie Kroubo Dagnini, spécialiste des musiques populaires jamaïquaines, convie une vingtaine d'intellectuels et d'artistes à (re)penser les musiques noires sous l'angle de la résistance. Il choisit de répondre à un texte du musicologue anglais Philip Tagg intitulé « Lettre ouverte sur les musiques “noires”, “afro-américaines” et “européennes” », adressé à ses collègues universitaires le 4 mai 1987 — et qui, jusqu'à aujourd'hui, continue de faire des remous. Dagnini juge cette lettre « nauséabonde », « perfide » et raciste, dans la mesure où, selon lui, son auteur tend à « déposséder les musiques noires des caractéristiques musicales fréquemment étiquetées “noires” » pour leur prêter des origines européennes — autrement dit, blanches. À ce premier acte de résistance rhétorique viennent s'ajouter, outre des contributions d'artistes, des analyses portant sur l'histoire et la portée sociopolitique de plusieurs musiques : jazz, dancehall, dub poetry, gwoka, reggaetón, maloya ou encore rap.

Camion Blanc, Rozières-en-Haye, 2016, 518 pages, 32 euros.

Brigadistes !

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:22

À l'occasion du 80e anniversaire de la création des Brigades internationales, les Amis des combattants en Espagne républicaine (ACER) et les éditions du Caïman se sont associés afin de leur rendre hommage. Cet ouvrage hétéroclite rassemble des textes d'auteurs-compositeurs-interprètes (Cali, Serge Utgé-Royo) et d'écrivains (Didier Daeninckx, Patrick Bard, etc.), ainsi que deux bandes dessinées. Les nouvelles occupent la plus grande part, et certaines captent la forte particularité de l'héritage qu'ont laissé les brigadistes. On lira ainsi avec intérêt Patrick Fort (« Els ombres del coll dels Belistres »), Tomas Jimenez (« El comunero »), et Roger Martin (« Viva la quince Brigada ! »). On retiendra la confession du personnage de la nouvelle de Maurice Gouiran (« Le premier soir à Barcelone ») : « Je suis encore repu de cette soif de liberté, de ce fol espoir qui nous a unis et étreints durant ces heures-là. »

Éditions du Caïman - ACER, Saint-Étienne, 2016, 336 pages, 15 euros.

La bonne focale. De l'utilité des cas particuliers en sciences sociales

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:20

La « focale » qu'évoque le titre de cet essai est celle du raisonnement inductif en sciences sociales : à partir de plusieurs cas d'études, comment gagner en généralité par le biais de l'analogie ? Cette perspective est inspirée par l'étude comparative menée lors du second conflit mondial par Everett Hughes, sociologue à l'université de Chicago, sur les relations interethniques aux États-Unis dans le secteur de la production d'armements. Apparentée à la tradition d'enquête de terrain et d'étude des interactions individuelles propre à l'école de Chicago, l'approche inductive de Howard S. Becker permet d'en dépasser le cadre social et historique pour enrichir le corpus des sciences sociales de conclusions originales sur le fonctionnement des mondes de l'art, de la musique, de l'éducation ou… de la drogue. S'attachant aux paramètres particuliers afin de nuancer les lois générales, le sociologue ouvre la boîte noire des processus d'interaction pour y découvrir de nouvelles dimensions permettant la transposition, d'un cas à l'autre, des mécanismes régissant les interactions entre groupes sociaux.

La Découverte, coll. « Grands repères guides », Paris, 2016, 272 pages, 21 euros.

L'idée de confort, une anthologie. Du zazen au tourisme spatial

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:20

Comment l'humanité a-t-elle imaginé et mis en pratique les moyens d'améliorer son bien-être depuis les « peaux de biches et de lapins » disposées à l'entrée des cavernes à la fin de la grande glaciation de Würm ? Ce recueil propose près d'une trentaine de textes de diverses époques. Tomás Maldonado dénonce le rôle du confort dans « l'assujettissement du tissu social de la société capitaliste naissante » ; Jacques Pezeu-Massabuau se livre à un subtil et paradoxal « éloge de l'inconfort » ; Siegfried Giedion évoque l'héritage ascétique des moines du Moyen Âge. Gordon W. Hewes, Bernard Rudofsky et Joseph Rykwert s'intéressent, eux, aux habitudes posturales adoptées à travers le globe. La « quarantaine de centimètres » séparant ceux qui s'asseyent au sol et ceux qui utilisent des chaises, écrit Rudofsky, « ouvre sur des perspectives, au propre comme au figuré, très différentes ». Un sujet apparemment trivial, mais riche d'enseignements.

Éditions B42 - Centre national des arts plastiques, Paris, 2016, 272 pages, 25 euros.

Eichmann avant Jérusalem. La vie tranquille d'un génocidaire

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:19

Rapport sur la banalité du mal : ainsi la philosophe Hannah Arendt avait-elle sous-titré son Eichmann à Jérusalem, récit du procès (1961) et de l'exécution (1962) de l'organisateur du judéocide. Ce dernier lui apparaissait alors comme un médiocre fonctionnaire, un « assassin de bureau » qui se serait contenté d'obéir aux ordres génocidaires des dirigeants nazis. Cette interprétation, Bettina Stangneth la récuse, archives à l'appui. L'historienne et philosophe allemande a recherché et consulté l'ensemble des textes et des interviews d'Adolf Eichmann entre la fin de la seconde guerre mondiale et son enlèvement par le Mossad en 1960 en Argentine, notamment les mystérieux « papiers argentins » du nazi néerlandais Willem Sassen. S'y révèle un convaincu, parfaitement conscient et fier de ses crimes. Selon Dieter Wisliceny, « le sentiment d'avoir cinq millions de personnes sur la conscience était pour lui une satisfaction extraordinaire ». Soixante-dix ans plus tard, l'histoire du génocide nazi continue de s'écrire.

Calmann-Lévy, Paris, 2016, 672 pages, 26,90 euros.

Mis à jour le 6 février 2017.

Les Potentiels du temps. Art et politique.

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:19

Comment construire des futurs dans un temps marqué par « l'ivresse mélancolique » et « l'envoûtement négatif » ? Telle est la question posée par ce livre qui se veut une « contribution à la bataille qui s'engage ». Les auteurs défendent l'exercice d'une « pensée potentielle » permettant d'expérimenter des bifurcations dans le cours du temps, échappant au discours sur la fin de l'histoire comme à la fascination apocalyptique. On notera, parmi les modèles proposés, les expérimentations collectives à l'échelle 1:1, qui jouent ou rejouent des moments politiques de lutte, de procès ou de délibération. Ainsi de la « bataille d'Orgreave » de Jeremy Deller, qui reconstitue grandeur nature, en 2001, après un travail d'enquête, une journée de lutte des mineurs britanniques d'Orgreave, en juin 1984. Ou « Cleveland contre Wall Street », « procès de cinéma se substituant à un impossible procès de la crise des subprime  ». C'est dans l'espace de l'art que se trouverait ainsi abrité un « espace politique que la démocratie et la justice “actuelles” se montrent incapables de réaliser ».

Manuella, Paris, 2016, 296 pages, 19 euros.

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