La peur s'infiltre dans les moindres recoins, se répand à travers les frontières, paralyse les meilleures volontés. Attentats terroristes, prolifération nucléaire, réchauffement de la planète, tsunamis, cyclones, grippe aviaire : une menace chasse l'autre à la « une » des médias. Pourtant, hier encore, voilà un peu plus d'une décennie, la chute de l'Union soviétique soulevait l'espoir d'un nouvel ordre international, d'une humanité enfin libérée de sa condition. Désormais, personne ne croit plus ni aux lendemains qui chantent, ni au libéralisme triomphant paré de tant de promesses non tenues.
Orphelins d'un siècle que certains réduisent à des génocides et à des massacres, nous sommes guettés par l'abattement. Peut-on encore changer le monde ? Faut-il vraiment s'y atteler ? Existe-t-il un programme global de transformation ? Ceux-là mêmes qui ne peuvent plus défendre le bilan du libéralisme réellement existant haussent les épaules, faussement accablés : « C'est le monde tel qu'il est, il faut se résigner. »
Les programmes permettant de guider l'humanité vers un avenir « clés en main » sont discrédités. Pourtant, de nombreuses réflexions et, surtout, une multitude d'actions à travers la planète offrent des pistes plus prometteuses qu'on ne le pense généralement. En témoigne Internet, souvent présenté comme le nec plus ultra de la modernité libérale, le « lieu » où, enfin, des individus isolés peuvent agir selon les règles du marché pur, sans intermédiaire, sans lien social. « La société n 'existe pas » proclamait l'ancien premier ministre britannique, Mme Margaret Thatcher. Des prophètes annonçaient que la Toile allait enfermer les individus dans des bulles.
Pourtant, parallèlement aux monopoles comme Microsoft ou Google, et contre leurs tentatives d'assujettir la Toile au marché, des pratiques neuves ont émergé, notamment celle des logiciels libres (1), des pratiques que personne n'avait anticipées. Pourquoi des programmeurs laissent-ils « libres » leurs inventions, les font-ils circuler ? Pourquoi acceptent-ils de ne pas en profiter ? Voilà ce que les tenants de la marchandisation du monde ne saisissent pas. « Il est d'ordinaire difficile de comprendre explique un professeur de droit à Stanford, pourquoi quelqu'un abandonnerait quelque chose qui a de la valeur. Mais cette difficulté tient au fait que, de manière générale, donner signifie avoir moins soi-même. Mais les logiciels, et plus généralement la connaissance, ne sont pas comme de la nourriture : quand je vous apprends comme installer Word sur votre ordinateur, je ne perds pas cette connaissance moi-même. » Et de poursuivre que non seulement on ne renonce à rien, mais qu'on y gagne : en apprenant aux autres à se servir de son logiciel, en leur permettant de l'améliorer - « Plus il y aura de personnes qui sauront se servir d'un logiciel, et plus il aura de valeur pour ses utilisateurs, donc pour son concepteur (2). »
Cette démarche interroge le « droit de propriété ». On retrouve cette charge subversive dans les luttes qui se sont développées pour l'accès aux traitements antirétroviraux contre le sida. Face à la mobilisation des opinions, face à celle d'un certain nombre d'organisations non gouvernementales, Big Pharma a dû jeter du lest, accepter des limites au sacro-saint droit des brevets. Certes, la bataille sur les médicaments est loin d'être gagnée, mais la volonté de soustraire au « libre marché » des pans entiers de la société s'affirme dans des domaines divers, de la santé à l'eau. Les droits des citoyens doivent passer avant ceux de quelques grandes compagnies et de leurs actionnaires à accumuler des profits.
On aurait tort de percevoir ces mobilisations comme des combats d'arrière-garde, dont le seul but serait de préserver ce qui peut encore l'être des offensives libérales. Quand, en Argentine, des travailleurs prennent le contrôle de leurs entreprises et les remettent en route (3) ; quand, dans le même pays, le gouvernement arrive à renégocier sa dette dans des conditions avantageuses, malgré les critiques du Fonds monétaire international (FMI) ; quand, aux Etats-Unis, s'implante un mouvement de luttes contre la concentration médiatique ; quand, en Inde, des paysans obtiennent du nouveau gouvernement une garantie qu'ils pourront, en cas de chômage, être employés pendant cent jours (par an) pour des travaux d'utilité publique, ce sont les fondements même de nos sociétés, leurs règles de fonctionnement, les manières de « vivre ensemble » qui sont secouées. Ces mobilisations remettent l'être humain, notamment les perdants du jeu libéral, au centre des préoccupations.
Mais l'extrême diversité des luttes et des résistances éveille un malaise chez les partisans du changement, surtout ceux qui ont connu un monde bipolaire. Face à un capitalisme de plus en plus mondialisé, n'est-il pas illusoire d'agir localement ? Ne manque-t-il pas un programme global à opposer à la globalisation libérale ?
Cette nostalgie d'un « modèle » s'ancre dans les vieux rêves du XXe siècle, dans une vision de stades de civilisation se succédant, de la barbarie à la lumière, l'Europe (puis l'Occident) représentant le degré ultime du progrès, voué à s'étendre à toute la planète et à effacer tous les archaïsmes locaux ou régionaux, culturels ou religieux. Or c'est la notion même de « progrès » qui semble désormais devoir être mise en question. Imposée par la force durant l'ère coloniale, elle a débouché dans le Sud sur les pires crimes. En Occident, le productivisme industriel et agricole a accéléré la mise en cause des équilibres fondamentaux de la planète, favorisé son réchauffement, encouragé la propagation de nouvelles maladies.
Plus largement, l'uniformisation du monde provoque des réactions de rejet, parfois marquées par le chauvinisme ou par une vision sectaire de la religion. Les peuples ne veulent pas être réduits à un agrégat d'individus consommateurs, pas plus qu'ils n'acceptèrent, hier, les carcans du socialisme réel. Car ils sont le produit d'une histoire et d'une culture, nourrissent leur imaginaire de rêves, de légendes, de mythes. Le mouvement zapatiste puise sa force dans les traditions indiennes du Mexique, il en est imprégné tant dans ses revendications que dans ses modes d'action. En Afrique, la démocratie Imposée selon un modèle présidentiel européen a montré ses limites, quand elle n'a pas débouché sur des guerres civiles ; mais d'autres formes de participation existent, profondément enracinées dans la mémoire et les traditions locales. En Asie, continent dont la puissance économique s'est construite à l'abri d'un protectionnisme sans remords, on cherche aussi à préserver les valeurs de ces sociétés, on débat du confucianisme et de la « modernité ». Partout domine une volonté de maîtriser son destin, de choisir sa propre voie, loin des injonctions du FMI et de la Banque mondiale, loin aussi des « leçons » données par l'Occident au reste de la planète.
Cette apparente hétérogénéité, à condition de s'appuyer sur une vision d'un ennemi global, le capitalisme, peut être un atout. Ce qui peut naître, ce n'est pas un nouveau modèle, mais de multiples autres mondes, échangeant, coexistant, s'enrichissant les uns les autres. Des principes universels se forgeront, se forgent déjà, en commun, autour de la défense des plus démunis, de l'égalité, des droits de chaque personne à une vie enrichissante, du rejet de toute domination - y compris masculine. Ils prendront différentes formes ici et là, contribuant à l'émergence d'une humanité à la fois plus solidaire et plus diverse.
(1) Lire Philippe Rivière, « Logiciels libres : et pourtant, ils tournent », Manière de voir n° 83.
(2) Lawrence Lessig, « Do you Floss ? », London Review of Books, 18 août 2005.
(3) Lire Cécile Raimbeau, « En Argentine, occuper, résister, produire », Le Monde diplomatique, septembre 2005.
Fondé sur l'élection directe du chef de l'État, le régime présidentiel français découle d'une révision constitutionnelle adoptée par référendum le 28 octobre 1962. De tradition bonapartiste, le général de Gaulle choisit de revenir à un mode de désignation qui, dès sa naissance en 1848, avait posé le problème du respect de la souveraineté populaire par le pouvoir exécutif.
Reproduction de cartes à jouer républicaines de l'époque de la révolution de 1848 Musée de la ville de Paris, Musée Carnavalet, Paris / Archives Charmet / Bridgeman ImagesPlusieurs candidats à l'élection française dénoncent la « monarchie présidentielle » et font campagne pour une profonde transformation des institutions, voire pour l'instauration d'une VIe République. Celui de La France insoumise, M. Jean-Luc Mélenchon, s'engage même, s'il est élu, à être « le dernier président de la Ve République ». En prônant la mise en place d'une Assemblée constituante, ce mouvement entend redonner du pouvoir au peuple en suivant les pas des révolutionnaires de la IIe République.
En février 1848, une révolution met fin à la monarchie de Juillet, usée par les scandales et par des pratiques de plus en plus autoritaires. Le gouvernement provisoire veut organiser au plus vite des élections afin de désigner une Assemblée constituante, chargée d'établir les nouvelles règles politiques. Aussitôt, des voix s'élèvent pour dénoncer un processus prématuré et dangereux. Selon le républicain François-Vincent Raspail ou le socialiste Louis Blanc, le peuple ne serait pas prêt : il faudrait l'éduquer avant de lui confier cette responsabilité, arguent-ils, et les mesures sociales doivent précéder les préoccupations politiques. Le 23 avril 1848, une Assemblée est néanmoins élue. Elle compte plus de huit cents membres, dont trois cents anciens représentants monarchistes, « républicains du lendemain ».
La Constitution est préparée en deux temps, au printemps et à l'automne. En mai et juin, le travail est délégué à un « comité de Constitution », composé de dix-huit parlementaires élus après une semaine d'âpres débats. Aux côtés du socialiste Victor Considérant, on retrouve les orléanistes (1) Odilon Barrot et Jules Dufaure, ou encore le conservateur Alexis de Tocqueville. Les postes de président et de rapporteur sont occupés par les républicains modérés Louis-Marie de Lahaye de Cormenin et Armand Marrast. Dès la fin de mai, un projet est envoyé devant les commissions de l'Assemblée, mais les débats ne commencent qu'après les « journées de juin », qui voient s'affronter autour de la fermeture des Ateliers nationaux deux visions de la république : celle d'un régime représentatif et celle d'une « vraie république », démocratique et sociale.
L'idée d'élaborer une nouvelle Constitution ne va pas de soi. Les socialistes et les républicains les plus radicaux souhaitent plutôt mettre en place la Constitution de 1793, ou reprendre des projets préparés dans les années 1830-1840. Le texte de 1793, jamais appliqué (dans l'attente de la paix), prévoit pour la première fois le suffrage universel (masculin) et une démocratie semi-directe, avec une concentration des pouvoirs au profit de l'Assemblée et la possibilité pour le peuple de proposer directement des candidats au conseil exécutif ou de se prononcer sur toutes les lois. Les députés, élus par les « assemblées primaires », sont simplement considérés comme des mandataires, pour une période limitée à un an. Quant aux projets établis sous la monarchie de Juillet, ils visent avant tout à poser des limites à l'exécutif, en trouvant les moyens de le contraindre à reconnaître la souveraineté du peuple et à accepter les réformes sociales nécessaires. La priorité alors accordée au social est telle que, en 1832, dans le programme de la Société des amis du peuple, François-Vincent Raspail ne consacre que quelques lignes à la question du pouvoir exécutif : celui-ci est d'une certaine façon « concédé », mais aussi révocable, non héréditaire et discontinu dans le temps.
L'examen article par article de la Constitution de 1848 se déroule du 4 septembre au 27 octobre. Deux sujets retiennent particulièrement l'attention : la reconnaissance du droit au travail et le monocaméralisme. Le droit au travail apparaît à la fois comme la réalisation de la promesse faite par la République aux ouvriers qui se sont battus contre la monarchie et comme le moyen de résoudre la question sociale. Le libéral Joseph Alcock ne craint pas de parler le 5 septembre d'une « loi de haine, de colère, d'envie et de vengeance ». Son collègue Prosper Duvergier de Hauranne évoque « une voie qui (...) conduit à la destruction de la société ». Proclamée le 25 février par le gouvernement provisoire, cette disposition est considérée par les républicains et les socialistes comme la spécificité de la nouvelle république, selon la formule d'Alexandre Ledru-Rollin : « On a dit : le droit au travail, c'est le socialisme. Je réponds : non, le droit au travail, c'est la République appliquée. »
L'idée d'une chambre unique reprend quant à elle la tradition des Constitutions de 1791 et 1793, en refusant l'existence d'une seconde chambre qui rappellerait la Chambre des pairs des monarchies censitaires ou le Conseil des Cinq Cents et le Conseil des Anciens, les deux assemblées législatives du Directoire. L'amendement préconisant deux chambres est rejeté par 530 voix contre 289. Le mandat des députés est fixé à trois ans.
Le projet du comité de Constitution place à côté de cette assemblée unique un président élu au suffrage universel direct. Pour justifier ce choix, le modèle américain est convoqué : il montrerait qu'un tel système fonctionne et évite les problèmes inhérents à la collégialité telle qu'elle fut incarnée par le Directoire. Il s'agit également d'équilibrer les pouvoirs. À l'unicité de l'Assemblée répond l'unicité de l'exécutif. Seuls deux membres du comité ont plaidé pour un système mixte, où l'Assemblée présélectionnerait cinq candidats.
Élu dans cinq départements, Louis-Napoléon Bonaparte triomphe lors des élections complémentaires du 17 septembre. Ce succès renforce les craintes des constituants qui, comme le député de gauche Félix Pyat, y voient une royauté déguisée. Jules Grévy, député républicain du Jura, prévient solennellement l'Assemblée par un amendement resté célèbre : « Je dis que le seul fait de l'élection populaire donnera au président une force excessive. Oubliez-vous que ce sont les élections de l'an X qui ont donné à Bonaparte la force de relever le trône et de s'y asseoir ? Voilà le pouvoir que vous élevez ! Et vous dites que vous voulez fonder une république démocratique ! Un semblable pouvoir conféré à un seul, quelque nom qu'on lui donne, roi ou président, est un pouvoir monarchique ; celui que vous élevez est plus considérable que celui que vous avez renversé. Il est vrai que ce pouvoir, au lieu d'être héréditaire, sera temporaire et électif ; mais il n'en sera que plus dangereux pour la liberté. »
Pour préserver la république de tels risques, les constituants ont mis en place des garde-fous : l'Assemblée dispose d'une force militaire dont elle fixe elle-même l'importance, et tout acte par lequel le président dissout l'Assemblée, suspend ses travaux ou fait obstacle à l'exercice de son mandat est un crime de haute trahison, qui entraîne sa déchéance. En outre, la Constitution interdit la rééligibilité immédiate du président sortant, ne l'admettant qu'au bout de quatre ans.
Jules Grévy souligne encore les limites de cette précaution : suffira-t-elle à contrer l'ambition d'un homme qui souhaiterait rester au pouvoir et ferait pendant son mandat des promesses au peuple qu'il monnaierait contre le renversement de la république ? Ses arguments ne sont pas retenus. Le danger représenté par la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte paraît encore peu plausible, même si certains l'identifient clairement. C'est le cas du député républicain modéré Antony Thouret, élu du Nord, qui propose d'étendre aux Bonaparte l'inéligibilité touchant déjà les membres des autres familles ayant régné sur la France. Mais son amendement est rejeté, et l'Assemblée décide, par 627 voix contre 130, l'élection du président de la République au suffrage universel.
À aucun moment il n'est fait mention des limites de ce suffrage « universel » qui exclut les femmes. Le 4 novembre, la Constitution est adoptée. « En présence de Dieu et au nom du Peuple français », proclame son préambule, tandis que l'article IV dispose que la République « a pour principe la Liberté, l'Égalité et la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l'Ordre public ». On est déjà loin de la république démocratique et sociale rêvée par les ouvriers au printemps 1848. Les « journées de juin » ont consacré l'écrasement des révolutionnaires par la troupe.
Le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte est élu par 5 434 226 voix. Son plus proche rival, Eugène Cavaignac, n'en recueille que 1 448 107, et le candidat socialiste François-Vincent Raspail seulement 37 000. Si le nouveau président incarne la continuité de la légende napoléonienne, il apparaît également comme un homme neuf, qui n'appartient à aucun parti. Auteur d'une brochure teintée de socialisme utopique (De l'extinction du paupérisme, 1844), ce candidat « attrape-tout » séduit une partie de l'électorat de gauche. Défenseur de l'ordre, de la famille, de la religion, de la propriété, il bénéficie du soutien de la droite monarchiste, du « comité de la rue de Poitiers ». Adolphe Thiers, l'un de ses éminents représentants, est persuadé qu'il sera aisé de le manipuler. « C'est un crétin que l'on mènera », aurait-il déclaré.
La question de l'échéance de 1852 devient cruciale en 1851, année préélectorale singulière : il n'y a pas de candidats déclarés, si ce n'est le président sortant, qui ne peut se représenter. Les autres prétendants sont hostiles à la république, comme le général monarchiste Nicolas Changarnier, ou discrédités, comme Cavaignac, l'homme de la répression de juin 1848, candidat malheureux en décembre 1848. Bien peu sont ceux qui attendent de ce scrutin un résultat positif. Déjà peu convaincus de la nécessité d'un exécutif unique, voire par le suffrage universel, certains républicains prônent toujours l'adoption d'autres formes de gouvernement, plus proches d'une démocratie directe. Victor Considérant déclare que « la solution, c'est le gouvernement du peuple par lui-même » ; Ledru-Rollin se prononce pour un retour à la Constitution de 1793 et la suppression de la fonction présidentielle.
L'élection de mai 1852 n'aura finalement pas lieu. Louis-Napoléon Bonaparte raye cette échéance par le coup d'État du 2 décembre 1851. La répression parisienne fait 400 morts ; 30 000 arrestations ont lieu en France ; l'état de siège est institué dans un tiers du pays. Louis-Napoléon décide cependant d'une élection présidentielle au suffrage universel, sous la forme d'un plébiscite organisé à peine quinze jours plus tard. Sept millions de Français disent « oui » à cet appel au peuple ; 640 737 courageux votent « non », surtout à Paris. Outre le climat de répression et de terreur, la fraude est patente. On compte tout de même un million et demi d'abstentionnistes. Bon nombre de républicains pensent comme George Sand que « sans tout cela » le peuple aurait voté de la même manière. La restauration de l'empire un an plus tard consacre le retour d'un monarque et achève de discréditer le principe de l'élection du président au suffrage universel pour... un siècle. Dans Napoléon le Petit, pamphlet écrit en exil, Victor Hugo se prend à imaginer que le deuxième dimanche de mai 1852 aurait pu être un dimanche calme « où le peuple serait venu voter, hier travailleur, aujourd'hui électeur, demain travailleur, toujours souverain ».
(1) Partisans de la monarchie constitutionnelle instaurée par Louis-Philippe d'Orléans en juillet 1830.
Sixty years after the 1957 signing of the Rome Treaties, on March 25, leaders of 27 EU member states united in Rome to celebrate the anniversary. Britain did not send a representative. The event took place in the midst an existential crisis that has infested the European project. Yet, despite all the pessimism that surrounds the European project, the meeting in Rome showed that leaders remain committed to a strong EU-27 that will play a major role in the 21st century international system. The success of this scenario is contingent upon a concrete internal reform program that includes all layers of society.
The problems facing the European Union since 2008 resulted from a combination of crisis mismanagement, partial institutional failure, and a highly unstable international environment. While these factors are closely intertwined, the focus of attention has gradually shifted to the last of these three issues. The alleged “end of history”, which invested neoliberal thought as the dominant and dominating narrative of the current world order and gave the European project a special momentum in the early 1990s, now seems to turn against its inventors.
Within Europe, the resulting sentiment of confusion and defeat has produced new societal divides that defy the traditional left-right spectrum. Denouncing the negative consequences of globalization, populist forces have emerged as part of the European political landscape. In their quest for power, populist parties prescribe protectionism and the reestablishment of national sovereignty as panacea to all of the EU’s ills.
In so doing they contribute to the widening ideological chasm between globalists on the one side and nationalists on the other. If the EU fails to address these divides as part of a larger reform process, the Union is likely to become bereft of both its cosmopolitan ideals and republican identity.
Aware of the looming danger, EU leaders portrayed the celebrations in Rome “as the beginning of a process for the EU-27 to decide together on the future of their Union.”[1] The message to which the 27 Heads of States committed to when signing the Rome Declaration, is clear: “Europe”, as Council President Donald Tusk put it in a statement reminiscent of the revolutionary language of a Benjamin Franklin, “as a political entity will either be united, or will not be at all. Only a united Europe can be a sovereign Europe.” Tusk shows himself expressively defiant, battling on two fronts—the domestic and the international—when making the case for unity being the requirement for stability, prosperity, and sovereignty.
After three days of high level exchanges in Rome, the EU-27 in their final declaration confirmed Tusk’s position and simultaneously acknowledged Europe’s declining influence on the international scene when stating that “taken individually, we would be side-lined by global dynamics. Standing together is our best chance to influence them, and to defend our common interests and values”.
Unity is portrayed as Europe’s last chance to remain at the table of the world’s major powers. For Europe’s leaders, the EU needs to overcome internal divisions to show external strength. The same message of unity was put to the forth more recently during the first EU Council summit meeting without a UK Prime Minister, during which the remainers agreed on “how to go into Brexit negotiations, set to start in June”. After the meeting, Council President Juncker shared his optimism by tweeting, “Unity in action:#EU27 adopt #Article50 Guidelines in less than 15 minutes. #Brexit”.
Transforming this abstract concept of unity into palpable policies is feasible, yet will take more time and energy than Juncker’s hashtagged tweet suggests. Most importantly, leaders need to concede that the concept of unity cannot be reduced to its intergovernmental meaning, referring to consensus among national governments. The functionalist logic according to which the forces of trickle down and spill over will eventually satisfy the European people as long as political elites agree has proven dangerously wrong.
In other words, it is not enough if the executive branches of the EU-27 are in agreement whilst representatives in national parliaments and citizens continue blaming Brussels for their relative deprivation. Instead, unity must be achieved along both the horizontal and the vertical dimensions of the public sphere, recognizing the needs of Europe’s diverse dêmoi. Only in so doing, the EU-27 will be able to defy populists and disintegrationists.
The challenge is huge. Even if Marine Le Pen is defeated in the second round of the French presidential elections on May 7, thus undermining populist momentum, the tasks the EU has to deal with in the immediate are still colossal:
The EU faces a rising current of populist nationalism in the eastern half of the bloc that puts its democratic values in question. It must deal with Russian aggression and with the flow of migrants across the Mediterranean. The architecture of the eurozone does not work as well as it should and its economic recovery remains uneven. Greece’s debts are still unsustainable; and Britain’s departure will inevitably consume energy and alter the balance of power between member states. [2]
To overcome these problems, the EU-27 agreed on a four-point strategy that envisions a safe and secure Europe, a prosperous and sustainable Europe, a social Europe, and a stronger Europe on the global scene. All four propositions place the European citizen at the heart of the solution. While it is too early to offer a final assessment of a reform that is projected to be realized by 2025, it is striking to see how much emphasis is being put on the military and security dimensions of the Union.
This move confirms earlier attempts of the European Union to refashion its identity as a new and powerful security provider on the international scene. Once and for all European leaders seem determined to bid farewell to the notion of Europe being “merely” a normative power. Instead, they acknowledge the existence of a Hobbesian anarchy and the need for hard power as the ultimate means to assure the survival of the Union. Being a “soft power”, the Commission argues, “is no longer powerful enough when force can prevail over rules”.
Whilst developing common hard power capabilities might indeed help strengthen the EU’s role in the world, leaders should be careful not to undermine Europe’s other commitments to global governance and cosmopolitan rule of law, two of the pillars that have made the EU the actor it is today.
Whilst the current phase of reflection and debate is crucial, the EU cannot stop there. It needs to rally the European people behind specific ideas that allow citizens to identify with this abstract supranational polity. As the Financial Times put it in a recent commentary, “far more important will be rekindling public enthusiasm for the EU. The original architects of the European union combined dry, technocratic pragmatism with a fervent belief, founded in personal experience, in Europe as a political project. This emotional attachment has largely been lost.”
Politicians carry a responsibility to defend the European project and to help create a Europe that speaks to its citizens and is carried not only by elites but also by the people. In order to achieve this situation, Europe needs to become the discursive environment that embeds all other debates. European citizens need to regain trust in this political project that governs so many aspects of their daily lives but seems too distant all the same. In other words, what is needed is a Europe of the people, by the people, and for the people.
Of course, defense is not the only issue area the EU can nor should consider when reinventing its identity as a 21st century superpower. Lots can be gained from constructing a new pan-European identity around issues such as renewable energies, smart cities, improved mobility, the promotion of efficient yet regulated market economies, and the image of a responsible third force be it in the UN or as a powerful member of the global financial institutions.
From a foreign policy perspective, for the EU to remain a successful and credible actor in the international system it eventually must transcend the nation-state. None of the other future scenarios the European Commission considered in a recent White Paper, such as a European Union of different speeds, a European Union re-centered on the single market, or a European Union of opt-outs and cherry-picking are likely to defend Europe’s place in the world to the same extent and with the same effectiveness as a federal Europe.
The transformation of the EU into a new political community transcending the nation-state is the toughest of the tasks lying ahead and likely to lead to major resistance on the part of the member states and their constituents.
However, the outlook for the future of “the only converging meta-national continental arrangement of its kind in the world” is brighter than most analysts currently are ready to admit. The EU experienced substantial crises before and pundits predicted its failure many a time. For sure, the EU needs to undergo a process of thorough reform and address the numerous flaws of its present institutional set-up, but if done so properly, the EU will remain an important global player in the future.
[1] European Commission. 2017. White Paper on the Future. Available at: https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/white_paper_on_the_future_of_europe_en.pdf, accessed on 5 May 2017, p.26.
[2] Financial Times. 2017. The EU has much to celebrate – and to do. Available at: https://www.ft.com/content/7c6116ac-1084-11e7-b030-768954394623, accessed on 5 May 2017.
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Sixty years after the 1957 signing of the Rome Treaties, on March 25, leaders of 27 EU member states united in Rome to celebrate the anniversary. Britain did not send a representative. The event took place in the midst an existential crisis that has infested the European project. Yet, despite all the pessimism that surrounds the European project, the meeting in Rome showed that leaders remain committed to a strong EU-27 that will play a major role in the 21st century international system. The success of this scenario is contingent upon a concrete internal reform program that includes all layers of society.
The problems facing the European Union since 2008 resulted from a combination of crisis mismanagement, partial institutional failure, and a highly unstable international environment. While these factors are closely intertwined, the focus of attention has gradually shifted to the last of these three issues. The alleged “end of history”, which invested neoliberal thought as the dominant and dominating narrative of the current world order and gave the European project a special momentum in the early 1990s, now seems to turn against its inventors.
Within Europe, the resulting sentiment of confusion and defeat has produced new societal divides that defy the traditional left-right spectrum. Denouncing the negative consequences of globalization, populist forces have emerged as part of the European political landscape. In their quest for power, populist parties prescribe protectionism and the reestablishment of national sovereignty as panacea to all of the EU’s ills.
In so doing they contribute to the widening ideological chasm between globalists on the one side and nationalists on the other. If the EU fails to address these divides as part of a larger reform process, the Union is likely to become bereft of both its cosmopolitan ideals and republican identity.
Aware of the looming danger, EU leaders portrayed the celebrations in Rome “as the beginning of a process for the EU-27 to decide together on the future of their Union.”[1] The message to which the 27 Heads of States committed to when signing the Rome Declaration, is clear: “Europe”, as Council President Donald Tusk put it in a statement reminiscent of the revolutionary language of a Benjamin Franklin, “as a political entity will either be united, or will not be at all. Only a united Europe can be a sovereign Europe.” Tusk shows himself expressively defiant, battling on two fronts—the domestic and the international—when making the case for unity being the requirement for stability, prosperity, and sovereignty.
After three days of high level exchanges in Rome, the EU-27 in their final declaration confirmed Tusk’s position and simultaneously acknowledged Europe’s declining influence on the international scene when stating that “taken individually, we would be side-lined by global dynamics. Standing together is our best chance to influence them, and to defend our common interests and values”.
Unity is portrayed as Europe’s last chance to remain at the table of the world’s major powers. For Europe’s leaders, the EU needs to overcome internal divisions to show external strength. The same message of unity was put to the forth more recently during the first EU Council summit meeting without a UK Prime Minister, during which the remainers agreed on “how to go into Brexit negotiations, set to start in June”. After the meeting, Council President Juncker shared his optimism by tweeting, “Unity in action:#EU27 adopt #Article50 Guidelines in less than 15 minutes. #Brexit”.
Transforming this abstract concept of unity into palpable policies is feasible, yet will take more time and energy than Juncker’s hashtagged tweet suggests. Most importantly, leaders need to concede that the concept of unity cannot be reduced to its intergovernmental meaning, referring to consensus among national governments. The functionalist logic according to which the forces of trickle down and spill over will eventually satisfy the European people as long as political elites agree has proven dangerously wrong.
In other words, it is not enough if the executive branches of the EU-27 are in agreement whilst representatives in national parliaments and citizens continue blaming Brussels for their relative deprivation. Instead, unity must be achieved along both the horizontal and the vertical dimensions of the public sphere, recognizing the needs of Europe’s diverse dêmoi. Only in so doing, the EU-27 will be able to defy populists and disintegrationists.
The challenge is huge. Even if Marine Le Pen is defeated in the second round of the French presidential elections on May 7, thus undermining populist momentum, the tasks the EU has to deal with in the immediate are still colossal:
The EU faces a rising current of populist nationalism in the eastern half of the bloc that puts its democratic values in question. It must deal with Russian aggression and with the flow of migrants across the Mediterranean. The architecture of the eurozone does not work as well as it should and its economic recovery remains uneven. Greece’s debts are still unsustainable; and Britain’s departure will inevitably consume energy and alter the balance of power between member states. [2]
To overcome these problems, the EU-27 agreed on a four-point strategy that envisions a safe and secure Europe, a prosperous and sustainable Europe, a social Europe, and a stronger Europe on the global scene. All four propositions place the European citizen at the heart of the solution. While it is too early to offer a final assessment of a reform that is projected to be realized by 2025, it is striking to see how much emphasis is being put on the military and security dimensions of the Union.
This move confirms earlier attempts of the European Union to refashion its identity as a new and powerful security provider on the international scene. Once and for all European leaders seem determined to bid farewell to the notion of Europe being “merely” a normative power. Instead, they acknowledge the existence of a Hobbesian anarchy and the need for hard power as the ultimate means to assure the survival of the Union. Being a “soft power”, the Commission argues, “is no longer powerful enough when force can prevail over rules”.
Whilst developing common hard power capabilities might indeed help strengthen the EU’s role in the world, leaders should be careful not to undermine Europe’s other commitments to global governance and cosmopolitan rule of law, two of the pillars that have made the EU the actor it is today.
Whilst the current phase of reflection and debate is crucial, the EU cannot stop there. It needs to rally the European people behind specific ideas that allow citizens to identify with this abstract supranational polity. As the Financial Times put it in a recent commentary, “far more important will be rekindling public enthusiasm for the EU. The original architects of the European union combined dry, technocratic pragmatism with a fervent belief, founded in personal experience, in Europe as a political project. This emotional attachment has largely been lost.”
Politicians carry a responsibility to defend the European project and to help create a Europe that speaks to its citizens and is carried not only by elites but also by the people. In order to achieve this situation, Europe needs to become the discursive environment that embeds all other debates. European citizens need to regain trust in this political project that governs so many aspects of their daily lives but seems too distant all the same. In other words, what is needed is a Europe of the people, by the people, and for the people.
Of course, defense is not the only issue area the EU can nor should consider when reinventing its identity as a 21st century superpower. Lots can be gained from constructing a new pan-European identity around issues such as renewable energies, smart cities, improved mobility, the promotion of efficient yet regulated market economies, and the image of a responsible third force be it in the UN or as a powerful member of the global financial institutions.
From a foreign policy perspective, for the EU to remain a successful and credible actor in the international system it eventually must transcend the nation-state. None of the other future scenarios the European Commission considered in a recent White Paper, such as a European Union of different speeds, a European Union re-centered on the single market, or a European Union of opt-outs and cherry-picking are likely to defend Europe’s place in the world to the same extent and with the same effectiveness as a federal Europe.
The transformation of the EU into a new political community transcending the nation-state is the toughest of the tasks lying ahead and likely to lead to major resistance on the part of the member states and their constituents.
However, the outlook for the future of “the only converging meta-national continental arrangement of its kind in the world” is brighter than most analysts currently are ready to admit. The EU experienced substantial crises before and pundits predicted its failure many a time. For sure, the EU needs to undergo a process of thorough reform and address the numerous flaws of its present institutional set-up, but if done so properly, the EU will remain an important global player in the future.
[1] European Commission. 2017. White Paper on the Future. Available at: https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/white_paper_on_the_future_of_europe_en.pdf, accessed on 5 May 2017, p.26.
[2] Financial Times. 2017. The EU has much to celebrate – and to do. Available at: https://www.ft.com/content/7c6116ac-1084-11e7-b030-768954394623, accessed on 5 May 2017.
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The outlook for the U.S. economy in the next 12 months is a picture of low but steady growth, at least according to U.S. Treasury Secretary Steven Mnuchin. The Treasury Secretary says his department is predicting that it will take the American economy two years to reach an annual growth rate of 3%(of full year growth). This would fit with the post-financial crash pattern for the American economy, which has not grown faster than 3% in any year since the end of the last recession in mid-2009, almost a decade ago.
But storm clouds are gathering on the horizon for the U.S. growth in the first quarter of the Trump presidency has been disappointing, with the first three months of 2017 seeing the weakest first-quarter growth in America in three years. But analysts blamed a mild winter and higher than usual inflation for depressing consumer spending rather than administration policy. But Mnuchin argues that a combination of planned regulation relief measures, tax cuts and a renegotiation of international trade deals which the Trump presidency has planned will see full year growth rise to 3% by 2019.
Opinion is certainly divided over how effective the administration’s plans will be. Critics generally believe they are not ‘revenue-neutral’ and will fail in their objective to get U.S. multinationals to repatriate their profits back to America. If this is the case then the U.S. budget deficit will again start to yawn alarmingly open as Trump struggles to combine implementing his campaign promises on increased infrastructure spending, a higher U.S. defense budget and his famous wall on the Mexican border with his plans to cut federal revenues.
Meanwhile experts worry that the controversial nature of the Trump administration has politicized analysis of the U.S. economic outlook for 2017 and sharply reduced the changes of bi-partisan cooperation on reform. Political opposition to Trump from Congressional Republicans on increased government spending and from progressives on his ‘tax cuts for the rich’ may mean that the White House struggles to pass its agenda. Gridlock in Washington will increase uncertainty about U.S. economic intentions and therefore depress growth in the final three quarters of 2017. All of which means efforts to boost the U.S. economy to 3% annual growth by 2019 could still flounder.
One ominous sign that all is not well in America is the news that Puerto Rico Governor Ricardo Rossello announced on Wednesday May 3 that he was requesting a Title III proceeding from the U.S. territory’s federal financial oversight board. Title III is an an in-court debt restructuring process akin to a U.S. Bankruptcy; the governor’s request comes a day after several large creditors started legal action against the territory’s government for defaulting on $70 billion worth of debts.
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The outlook for the U.S. economy in the next 12 months is a picture of low but steady growth, at least according to U.S. Treasury Secretary Steven Mnuchin. The Treasury Secretary says his department is predicting that it will take the American economy two years to reach an annual growth rate of 3%(of full year growth). This would fit with the post-financial crash pattern for the American economy, which has not grown faster than 3% in any year since the end of the last recession in mid-2009, almost a decade ago.
But storm clouds are gathering on the horizon for the U.S. growth in the first quarter of the Trump presidency has been disappointing, with the first three months of 2017 seeing the weakest first-quarter growth in America in three years. But analysts blamed a mild winter and higher than usual inflation for depressing consumer spending rather than administration policy. But Mnuchin argues that a combination of planned regulation relief measures, tax cuts and a renegotiation of international trade deals which the Trump presidency has planned will see full year growth rise to 3% by 2019.
Opinion is certainly divided over how effective the administration’s plans will be. Critics generally believe they are not ‘revenue-neutral’ and will fail in their objective to get U.S. multinationals to repatriate their profits back to America. If this is the case then the U.S. budget deficit will again start to yawn alarmingly open as Trump struggles to combine implementing his campaign promises on increased infrastructure spending, a higher U.S. defense budget and his famous wall on the Mexican border with his plans to cut federal revenues.
Meanwhile experts worry that the controversial nature of the Trump administration has politicized analysis of the U.S. economic outlook for 2017 and sharply reduced the changes of bi-partisan cooperation on reform. Political opposition to Trump from Congressional Republicans on increased government spending and from progressives on his ‘tax cuts for the rich’ may mean that the White House struggles to pass its agenda. Gridlock in Washington will increase uncertainty about U.S. economic intentions and therefore depress growth in the final three quarters of 2017. All of which means efforts to boost the U.S. economy to 3% annual growth by 2019 could still flounder.
One ominous sign that all is not well in America is the news that Puerto Rico Governor Ricardo Rossello announced on Wednesday May 3 that he was requesting a Title III proceeding from the U.S. territory’s federal financial oversight board. Title III is an an in-court debt restructuring process akin to a U.S. Bankruptcy; the governor’s request comes a day after several large creditors started legal action against the territory’s government for defaulting on $70 billion worth of debts.
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Indépendance : 4 juillet 1946 (des États-Unis).
Régime : présidentiel (dernier scrutin en mai 2016 pour un mandat de six ans).
Capitale : Manille.
Superficie : 300 439 kilomètres carrés.
Nombre d'îles : 7 107, dont 11 constituent 90 % des terres.
Population : 102 811 795 habitants en 2016.
Taux d'alphabétisation : 98,22 % (2015).
Indice de développement humain (IDH) : 0,682 (2015), 118e rang mondial.
Espérance de vie : 68,2 ans (2014).
Produit intérieur brut (PIB) : 291,965 milliards de dollars américains (2015).
PIB par habitant : 2 899 dollars (2015), 158e rang mondial.
Religions :
— 84 % de catholiques.
— 7 % de musulmans.
— 4 % de protestants évangéliques.
— 1,5 % de bouddhistes.
Sources : populationdata.net ; Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ; diplomatie.gouv.fr
Le Stanford Literary Lab a pour objectif de développer les humanités numériques, plus précisément l'exploration de corpus littéraires assistée par ordinateur. Il s'agit pour ses membres de retranscrire sous forme d'algorithmes le fonctionnement de la critique littéraire afin d'explorer automatiquement le roman et le théâtre européens, « un corpus de textes trop immense pour être embrassé par un seul savant, aussi érudit fût-il ». Faisant feu de toutes sciences, le Stanford Literary Lab emprunte « l'analyse en composantes principales à la génétique, la théorie des réseaux aux mathématiques et à la physique, et le concept d'entropie aux théories de l'information ». En huit chapitres, il livre quelques-uns de ses résultats de recherche, de ses méthodes et de ses échecs. Ainsi, le chercheur Holst Katsma découvre « l'atténuation du volume sonore » dans le roman britannique sur plusieurs décennies du XIXe siècle. Il s'avère in fine que les algorithmes, non contents de valider les recherches menées par des êtres humains sur des corpus plus restreints, créent leurs propres hypothèses et font émerger de nouvelles interrogations. Confronté aux big data (« données de masse »), le Lab tente de faire en sorte qu'elles « nous ramènent aux “big questions” ».
Ithaque, coll. « Theoria Incognita », Paris, 2016, 280 pages, 26 euros.
Une enveloppe différente pour un produit identique : ainsi pourrait-on résumer l'histoire du Front national (FN). Dédiabolisation, refonte lexicale, récupération politique : autant de stratégies qui ont permis au Front national de revoir son discours, faisant d'une force contestataire un parti aux ambitions gouvernementales. Une approche qui glisse d'un positionnement assumé sur l'échiquier politique — « Il faut redonner à la France une droite digne d'elle, une droite qui ose dire son nom et se battre sous ses couleurs » — à une posture populiste : « Ni droite ni gauche, Front national ! » Valérie Igounet analyse quarante-cinq années de slogans, d'affiches et de discours du parti frontiste pour en déceler l'ADN, qui reste inchangé : la question de l'identité nationale demeure au cœur de ce parti. L'historienne évoque enfin la façon dont il a influencé la droite et imposé sa problématique dans le débat public, renforçant ainsi sa nouvelle assise politique.
Inculte / Dernière marge, coll. « Essais », Paris, 2017, 144 pages, 19,90 euros.
Passant en revue les grandes oppositions autour de quatre concepts économiques fondamentaux — la valeur, le travail, le capital et la monnaie —, François Morin, en se référant à John Maynard Keynes et à Karl Marx, propose une refondation du travail, de la monnaie et de la démocratie. La valeur-travail pourrait offrir selon lui son fondement à l'économie. L'opération impliquerait de limiter le pouvoir de la valeur-capital (en renforçant le droit de la concurrence et le contrôle des mouvements de capitaux), mais aussi de réformer la gouvernance des entreprises sur le modèle de l'économie sociale et solidaire. La monnaie passerait de son statut de bien privé géré par un oligopole bancaire à celui de bien commun géré par les États au niveau international. Chaque citoyen pourrait valoriser son travail grâce à un droit à la formation, et les investissements seraient choisis pour leur utilité collective.
Lux, Montréal, 2017, 305 pages, 22 euros.
Entre 1981 et 1994, Dominique Cabrera a consacré six documentaires à la banlieue parisienne. Aujourd'hui, ses films, réunis dans un DVD, accompagné par un précieux livret, paraissent décrire un autre monde, où les locataires d'une cité de Colombes pouvaient être partie prenante dans la création d'une aire de jeux (J'ai le droit à la parole, 1981), où les anciens habitants de quatre tours en voie de démolition avaient la nostalgie de la vie solidaire qu'ils y menaient (Chronique d'une banlieue ordinaire, 1992). Elle rappelle aussi l'histoire du Val-Fourré, où les premiers habitants s'installent en 1966, et qui devait, selon un propos officiel, permettre « à de nombreuses familles de vivre une vie meilleure ». Les années 1990 verront la paupérisation de la population avoir raison des rêves des urbanistes. Avec Une poste à La Courneuve (1994), dans la cité des 4000, elle montre de jeunes postiers qui, dans un local scandaleusement exigu, tentent l'impossible : assurer, malgré l'abandon du pouvoir, le « service public ».
Documentaire sur grand écran, Paris, 2017, 25 euros.
S'il est vrai que, de tout temps, les humains ont été fascinés par les djinns, « êtres de feu sans fumée », et par les djinnias, « faites de fumée sans feu », force est de constater qu'ils n'en connaissent pas grand-chose, un peu comme ces dormeurs brutalement réveillés au milieu d'un rêve dont ils ne parviennent quasiment plus à se souvenir. Mais il advient parfois qu'un conteur, ou peut-être bien une conteuse, s'empare de ces fragments épars et les remette, temporairement, dans l'ordre… Ce que fait magistralement Salman Rushdie dans son dernier roman, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, soit bien sûr mille et une nuits, c'est-à-dire le temps que durèrent selon l'histoire ici déroulée les événements connus sous les noms de « guerre des mondes » ou de « période d'Étrangeté ». Car les djinns, querelleurs, toniques, priapiques, amoraux, n'aiment rien tant que quitter leur magique Péristan pour se mêler à notre bas monde, dont l'extravagance les fascine.
C'est ainsi qu'une des plus grandes djinnias, princesse de la foudre venue sur terre au XIIe siècle, s'est éprise d'un prestigieux philosophe, Ibn Rushd (alias Averroès, philosophe de langue arabe… ou avatar de l'auteur), alors en disgrâce. Elle lui a donné une nombreuse descendance, les Duniazats, tous intrinsèquement djinns, dépourvus de lobes aux oreilles mais pourvus d'immenses pouvoirs sans qu'ils le sachent vraiment… De telles histoires d'amour sont toutefois brèves, tant la distance est grande entre un simple mortel et une quasi-immortelle. Et Ibn Rushd, rentré en faveur, s'est peu à peu éloigné de celle qu'il connaît sous le nom de Dunia, qui veut dire « monde » « parce qu'un monde s'écoulera de moi », comme elle le lui a précisé lors de leur rencontre. Il l'abandonne, ainsi que leurs enfants, sans s'être jamais douté de leur nature véritable. Il est vrai qu'il est alors en pleine polémique avec les héritiers de Ghazali, un religieux qui prêche l'asservissement des esprits et le mépris de l'amour.
Or cette polémique va se poursuivre jusqu'à notre siècle, qui vécut, durant deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, une quasi-apocalypse mêlant irrationalité, corruption, fanatismes multiples, bref, une véritable guerre entre les tenants, parmi les djinns comme parmi les humains, de Ghazali et ceux d'Ibn Rushd. Et c'est à cette époque que M. Geronimo, jardinier-paysagiste du splendide domaine de La Incoerenza appartenant à une nihiliste chronique surnommée Madame la Philosophe, s'aperçoit qu'il flotte — oh ! très légèrement — ; que le jeune Jimmy Kapoor, auteur plus ou moins raté de comics, voit apparaître son super-héros en chair et en os ; qu'Oliver Oldcastle, compositeur de musique, développe son étonnante théorie, « Dieu est une création de l'homme, alors aucun bienfait ne demeure impuni… ». Les lois qui semblaient régir le monde se dissolvent et laissent la place à d'innombrables règles, contradictoires, grotesques, comme si, d'un coup de baguette magique, la fameuse raison humaine s'était éclipsée. L'histoire qu'écrit Rushdie, sur un ton mi-moqueur mi-rageur mais toujours bienveillant, pourrait n'être qu'une parabole ; mais ce qu'il décrit résonne avec notre commune réalité. Les situations et les personnages sont en phase avec la perception que nous en avons à travers les médias, mais aussi la fiction qui en naît. Sans oublier les rêves qui en surgissent, évidemment.
Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, de Salman Rushdie, traduit de l'anglais par Gérard Meudal, Actes Sud, Arles, 2016, 313 pages, 23 euros.
On n'entre pas impunément dans les livres d'Arno Schmidt (1914-1979) : dès les premiers pas, on se cogne, on bloque, on trébuche. Lui-même devait le savoir, qui écrit dans Brand's Haide : « Si le peuple t'applaudit, interroge-toi : qu'ai-je mal fait ?! » On ne peut donc que saluer la détermination des éditions Tristram, qui rééditent progressivement les ouvrages de cet auteur largement publié jadis par Christian Bourgois, Maurice Nadeau sortant pour sa part, notamment, le fameux Soir bordé d'or. À Brand's Haide vient s'ajouter leur réédition en poche du roman Le Cœur de pierre (1). Soulignons — évidence souvent oubliée — que leur traducteur, Claude Riehl (1953-2006), au punch inventif, est indissociable de cet écrivain dont la restitution, confiait-il, confinait parfois au match de boxe.
La construction peut dérouter : une succession de petites séquences, entre cinq et vingt lignes, avec chaque fois une amorce en italique qui peut être une indication scénique, une exclamation ou le début de la phrase : « Un vent-brigand rôdait dans le bois… », « Le barouf des footballeurs soûls… », « Le chat sur la table… ». Ces séquences, où affleurent références et citations détournées, sont aussi parfois de rapides percées vers l'insolite : de la fumée parle en s'échappant de la cheminée ou un hérisson passe à vélo. Mais dans le flux de la lecture, pour peu que l'on ose se laisser entraîner, on voit se composer un monde avec différentes strates de narration qui tient l'attention en haleine, « romantisant » le monde, pour employer un terme du poète Novalis, rendant sensible la part de merveilleux dans une réalité qui, à première vue, en manque. Écrit en 1951, Brand's Haide (un nom de lieu fictif, littéralement « la lande de Brand », évoquant ces étendues où Schmidt lui-même a aimé vivre) est une charge contre l'Allemagne de l'Ouest de l'après-guerre, le leurre de la dénazification, l'emprise papelarde de l'Église, la corruption, les privations, le sort fait aux réfugiés.
On n'est pas dans le ton larmoyant ou au contraire docte et prudent de ce que l'on a appelé la « littérature des ruines », première prise ou reprise de plume, à chaud, des écrivains de l'après-guerre, mais dans un abordage irrévérencieux du monde après la catastrophe. L'histoire est celle d'un prisonnier libéré qui, en 1946, s'installe dans cette lande du Nord pour écrire une biographie de l'écrivain Friedrich de La Motte-Fouqué. Comme par écho, ce travail résonne jusqu'à la maison voisine, en pleine forêt, où habitent deux femmes. Le narrateur, qui s'appelle Schmidt comme l'auteur (lui-même un passionné de La Motte-Fouqué), tombe amoureux de l'une d'elles, qui choisira de se marier avec un homme fortuné pour échapper à la misère. Pas de happy end : Schmidt n'écrit pas pour endormir les consciences.
Ce que confirme le « roman historique de l'an de grâce 1954 », sous-titre de son Cœur de pierre, publié en 1956. Partant de l'histoire d'un collectionneur bibliophile, cynique, malicieux et un peu méchant, le roman se termine par la constitution d'un ménage à quatre, dans une sorte de détournement des « affinités électives » de Goethe. Entre les deux, c'est toute la mesquinerie des deux Allemagnes qui est passée au crible de l'invective jouissive d'un auteur alors en butte à des procès pour blasphème et pornographie.
Brand's Haide, d'Arno SchmidtPierre Deshusses, traduit de l'allemand par Claude Riehl, Tristram, Auch, 2017, 186 pages, 19 euros.
(1) Traduit de l'allemand par Claude Riehl. Tristram, 2017, 300 pages, 11,40 euros.
Journaliste française ayant travaillé pour sept missions de l'Organisation des Nations unies (ONU), Célhia de Lavarène dénonce l'inefficacité de l'institution et, pis, qualifie de nuisibles certaines de ses opérations (1). Ainsi, en 1992-1993, au Cambodge, où l'ONU devait organiser les élections, elle observe un recrutement incohérent de personnels, des passe-droit, des « discussions stériles » et beaucoup de temps perdu, au point qu'elle écrit : « Je suis payée — et bien payée — pour ne rien faire et la boucler. » Elle souligne également la différence entre les fonctionnaires permanents de l'ONU, dotés de l'immunité diplomatique, et les employés temporaires, plus précaires. Au fil des missions, elle est témoin de l'attitude négligente ou condescendante de certains d'entre eux. En Bosnie, en 2000-2001, il va même s'agir d'abus sexuels et de tortures sur des jeunes filles mineures perpétrés par des « Civpol », c'est-à-dire des agents de l'ONU chargés de la police civile. Si ces faits sont malheureusement bien réels, on espère que cet essai pourra contribuer à un sursaut salutaire. Il manque en revanche une réflexion politique sur les enjeux des missions auxquelles l'auteure a participé, et l'ensemble demeure très anecdotique et trop centré sur sa personne.
L'ouvrage sur le Conseil de sécurité de l'ONU, publié par Jared Genser, juriste et militant humanitaire, et Bruno Stagno Ugarte, diplomate et agent de l'ONU, est de facture plus classique et s'apparente à un manuel pédagogique (2). Il examine en particulier comment le Conseil de sécurité a pu — ou n'a pas pu — débloquer les situations de crise ou de conflit en Bosnie, au Soudan, en République démocratique du Congo, au Rwanda... Le général canadien Roméo Dallaire, qui commandait la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar) pendant le génocide, en 1994, rappelle par exemple qu'il avait en vain tenté d'alerter la « communauté internationale » sur les massacres qui s'y commettaient. Il établit un parallèle entre l'échec de l'ONU au Rwanda et l'impuissance de la Société des nations à empêcher l'invasion de l'Éthiopie en 1935. Les casques bleus étaient bien présents sur place au Rwanda, mais, malgré les alertes de Dallaire, aucun ordre ne leur a été donné d'agir pour protéger les populations. En Bosnie, au début des années 1990, confronté à la guerre civile qui déchirait l'ex-Yougoslavie, le Conseil de sécurité s'est attaché à rester neutre, et n'a adopté qu'en 1992 une résolution imposant des sanctions aux voisins de la Bosnie qui perpétraient des massacres. Mais ce n'est pas l'ONU qui parvint à imposer la paix.
En revanche, au Timor oriental, à la fin des années 1990, le secrétaire général Kofi Annan a joué un rôle moteur pour prévenir un bain de sang. L'ONU a adopté en 1999 la résolution 1264, qui autorisait, sous le chapitre VII de sa Charte, l'établissement d'une Force internationale pour le Timor oriental (Interfet) afin de restaurer la paix et la sécurité et de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire. Ce mandat est l'un des plus puissants jamais donnés par l'ONU. L'Interfet, menée par l'Australie et composée de quatre mille hommes, dont la moitié issus de ce pays, a favorisé les négociations multilatérales qui ont abouti à l'indépendance du Timor-Leste.
Les missions des casques bleus peuvent donc être efficaces si elles sont dotées d'un mandat fort, c'est-à-dire lancées au nom du chapitre VII de la Charte, qui prévoit de leur donner le pouvoir d'imposer la paix, au besoin par la force. Pourquoi ne pas doter de ce mandat la plupart de leurs missions ?
(1) Célhia de Lavarène, Les étoiles avaient déserté le ciel. Dans l'enfer des missions de l'ONU, Balland, Paris, 2016, 200 pages, 22 euros.
(2) Jared Genser et Bruno Stagno Ugarte (sous la dir. de), The United Nations Security Council in the Age of Human Rights, Cambridge University Press, 2014, 544 pages, 24,99 livres sterling.
Un sociopathe, un orphelin et une jeune femme dépressive se croisent dans la ville sombre et violente de New Delhi. Le journaliste Raj Kamal Jha livre un portrait au vitriol de la capitale indienne dans Elle lui bâtira une ville (1), fiction aux nombreuses références littéraires et cinématographiques où le fantastique prend souvent le pas sur le drame. Delhi est un cauchemar pour ses habitants. La classe aisée est décrite à l'image de la ville : cynique, égoïste et sans avenir. L'un des trois héros de Jha, Homme, en est le plus fidèle représentant. Psychopathe rêveur, confiné dans sa résidence de cols blancs, l'Apartment Complex, qui domine le monde, il rappelle le terrible Patrick Bateman de Bret Easton Ellis (American Psycho). Ses soudains accès de générosité envers les représentants moins bien lotis du genre humain ne font qu'accentuer sa dérangeante noirceur. À travers lui, l'auteur évoque les conditions de vie de la très vaste majorité des habitants, tapis dans l'obscurité, acculés par la pauvreté, la saleté, la corruption et la maladie.
Moins choquants, les deux autres protagonistes, Orphelin et Femme, sont, eux, enrobés de mystère, d'affection et d'amour, et laissent imaginer une possible rédemption pour cette ville qui semble transformer, littéralement, les humains en cafards. Les personnages secondaires, eux, ont droit à un nom, et leurs histoires viennent s'imbriquer dans la narration comme les quartiers pauvres et leurs habitants, sans lesquels la capitale ne pourrait pas survivre, s'imbriquent dans les « blocs » de Delhi. Ce sont ces citoyens de seconde classe, une nurse, une ouvreuse de cinéma, qui font battre le cœur de la cité. Soumis aux dangers d'une ville asphyxiante, au propre comme au figuré, ce sont eux qui permettent au lecteur de percevoir les envies, les rêves et la réalité de millions d'Indiens.
À l'inverse, le volumineux Delhi Capitale (2), malgré ses six cents pages, ne laisse pas vraiment d'espace à l'émotion ou à la couleur. Pas de promenades dans les dédales de Mehrauli ou de Chandni Chowk, ni de longues descriptions des farm houses de Saket. Peut-être le titre français aurait-il dû être « Delhi, capital », plus proche de l'original, Capital : The Eruption of Delhi. « Contempler Delhi aujourd'hui, c'est être confronté aux symptômes du XXIe siècle globalisé dans leur forme la plus spectaculaire et la plus avancée », affirme l'écrivain Rana Dasgupta, qui, dans ce très riche essai, a endossé le costume de journaliste. Il interviewe ceux du haut de l'échelle sociale, délaissant délibérément les classes modestes, dont seule une représentante est mentionnée. « J'ai mon réseau, donc je suis » : Delhi Capitale fait entrer le lecteur dans l'intimité de cette Inde mondialisée dont il rappelle avec érudition les mutations historiques.
Pour les curieux désireux de mieux comprendre comment les époques ont imprégné et disloqué la ville, on ne peut que recommander un détour par le blog The Delhi Walla, tenu par le journaliste Mayank Austen Soofi, ou de parcourir à pied la vieille capitale, et notamment son passé « britannique », avec La Cité des djinns, de William Dalrymple (3).
(1) Raj Kamal Jha, Elle lui bâtira une ville, traduit de l'anglais (Inde) par Éric Auzoux, Actes Sud, Arles, 2016, 416 pages, 23,50 euros.
(2) Rana Dasgupta, Delhi Capitale, Buchet-Chastel, Paris, 2016, 592 pages, 25 euros.
(3) Thedelhiwalla.com ; William Dalrymple, La Cité des djinns. Une année à Delhi, Libretto, Paris, 2015 (1re éd. : 2006), 464 pages, 11,80 euros.
Leonardo Sciascia (1921-1989) croyait aux vertus du petit. Il aimait les menues chroniques (chronachette), les récits brefs et enlevés, les minces anecdotes. Il coulait son génie dans des formes mineures — contes voltairiens, romans policiers, commentaires en marge des livres des autres — et logeait volontiers ses histoires dans d'étroites limites géographiques, celles de sa Sicile natale, de son canton, voire de son village. Non par provincialisme, mais parce qu'il pensait que la partie contient le tout, le microcosme le macrocosme, et qu'un fait divers, une histoire simple, peut permettre de rendre intelligible, saisissable, un réel passablement opaque.
Chez Sciascia, la réflexion sur la politique, l'histoire, la métaphysique même, n'est jamais absente. Mais elle repose souvent sur une tête d'épingle, sur un petit noyau dur et concret. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'il ait commencé sa carrière littéraire par un court recueil de fables, une salve de trente miniatures animalières, longues de quelques lignes chacune, poétiques, mais sans apprêts. Ces Fables de la dictature (1), publiées en 1950, n'ont pas les joliesses de La Fontaine : quintessenciées, sobres comme l'antique, elles rappellent plutôt Ésope ou Phèdre. Mais c'est surtout George Orwell que le fabuliste Sciascia continue. En citant l'écrivain britannique en exergue de son livre, il indique d'emblée comment il conçoit ses Fables : comme une sorte de supplément à La Ferme des animaux.
Pas d'idylle, donc, dans ces Fables, mais un monde de prédation et de domination, de duplicité et de terreur — éclairé par une ironie amère. Quelques années seulement après la chute de Benito Mussolini, chacun pouvait y reconnaître l'Italie fasciste, dans laquelle avait grandi Sciascia, né peu avant la marche sur Rome et enrôlé, enfant, dans le mouvement de jeunesse Balilla. Comme le notait Pier Paolo Pasolini, il était aisé de reconnaître, dans telle figure des Fables, des responsables politiques, « [Galeazzo] Ciano ou [Achille] Starace ». Et d'identifier, sous tel ou tel animal, le hiérarque, l'homme de main sadique, le condamné à mort… Mais Pasolini avait aussi compris que ces Fables, qui semblaient « venir après coup », ne relevaient pas seulement de l'esprit de l'escalier, du coup d'œil rétrospectif sur un temps révolu. Épurées, réduites à l'essentiel, débarrassées de leur humus historique, elles gagnent une « éternité » et une « actualité ». En effet, elles proposent moins un tableau de l'époque fasciste qu'une première variation sur un thème intemporel : le pouvoir. Pouvoir écrasant de l'Église, pouvoir occulte de la Mafia, collusion et corruption des grands partis au pouvoir : d'un livre à l'autre, Sciascia ne cessera d'y revenir, avec une fascination inquiète. L'air de rien, les Fables de la dictature inaugurent cet arpentage du pouvoir, en montrant sa violence, ses faux-semblants, les multiples pathologies qu'il engendre et dont il se nourrit.
Ce n'est pas seulement la brutalité des puissants que Sciascia met en scène. Il croque aussi les dominés, et leur complaisance vis-à-vis des dominants. Dans la suite de son œuvre, il mettra au centre de ses livres d'inoubliables figures de résistants — comme l'hérétique Diego La Matina dans Mort de l'inquisiteur, l'inspecteur Rogas dans Le Contexte, ou l'évêque Angelo Ficarra dans Du côté des infidèles (2). Mais, dans les Fables de la dictature, la résistance n'a guère de place ; Sciascia donne plutôt à voir l'accommodement, la résignation, le conformisme, et toutes les petites collaborations qui consolident l'oppression. Ce consentement au pouvoir, il l'avait vu à l'œuvre sous Mussolini, où les gens semblaient vivre dans le fascisme « comme dans leur propre peau ». Il le pressentait encore à la fin des années 1970, confiant à la journaliste Marcelle Padovani : « Je crois qu'encore aujourd'hui une bonne partie des Italiens vivrait dans le fascisme comme dans sa peau (3). »
Ce sombre diagnostic fut dressé, « aux temps de corruption (4) », par un romancier réputé pessimiste. Chacun jugera s'il conserve, déployé par ces Fables, quelque actualité…
(1) Leonardo Sciascia, Fables de la dictature (édition bilingue ; 1re éd. : 1950), traduction de Jean-Noël Schifano, postface de Pier Paolo Pasolini, Ypsilon Éditeur, Paris, 2017, 80 pages, 15 euros.
(2) Les éditions Fayard ont publié ses œuvres complètes.
(3) Leonardo Sciascia, La Sicile comme métaphore. Conversations en italien avec Marcelle Padovani, Stock, Paris, 1979.
(4) « Leonardo Sciascia : le romancier aux temps de corruption », L'Atelier du roman, no 88, Pierre-Guillaume de Roux, Paris, décembre 2016, 187 pages, 20 euros.
Faisant le point sur les recherches théoriques et empiriques les plus avancées à travers vingt-trois contributions, l'ouvrage dirigé par Nadya Araujo Guimarães, Margaret Maruani et Bila Sorj (1) constitue une précieuse référence sur la problématique complexe des liens entre genre, classe et race autour de la question du travail. S'appuyant sur ces trois registres dans deux pays aussi éloignés que le Brésil et la France, et démontant les mécanismes de la construction sociale des inégalités au-delà des différences historiques, cet essai révèle des constantes dans la fabrication des discriminations. Les auteurs fourbissent leurs concepts à travers le dédale de leurs causes enchevêtrées. Ainsi, Danièle Kergoat insiste sur la dynamique constitutive des rapports sociaux de pouvoir et de domination dans une conception matérialiste des oppressions. Elle avance alors le concept de « consubstantialité » : « La classe tout à la fois crée et divise le genre et la race », écrit-elle ; ou, dit autrement : « Le genre crée et divise la classe et la race », et « la race crée et divise le genre et la classe ». Ainsi, le fait d'être une femme joue un rôle déterminant dans sa place au sein du système de production — les femmes sont majoritaires dans les tâches de domesticité, par exemple. De son côté, Antonio Sérgio Alfredo Guimarães s'attache plus particulièrement au croisement qui s'opère entre ces catégories d'oppression et à l'analyse de leur vécu, soit l'« intersectionnalité » : il s'agit de « penser ensemble les formes de subordination, de discrimination, d'exploitation et d'exercice du pouvoir afin de voir comment elles s'articulent dans la pratique sociale ».
La mise en chiffres rend flagrante l'ampleur des discriminations, même si Margaret Maruani et Monique Meron démontrent que les statistiques peuvent relayer l'idéologie dominante. Rachel Silvera décrit la situation en France : selon la moyenne nationale, les femmes gagnent 27 % de moins que les hommes, tous emplois confondus. Au Brésil, malgré leur niveau scolaire plus élevé, elles souffrent d'un taux de chômage supérieur à celui des hommes et perçoivent toujours moins qu'eux, selon les travaux d'Ana Carolina Cordilha et Gabriela Freitas da Cruz : 28 % de moins dans le secteur formel et 33 % dans le secteur informel.
Du côté du travail domestique, pas de réelle transformation : il reste majoritairement le lot des femmes. Pour le Brésil, société capitaliste patriarcale au passé esclavagiste, Laís Abramo et María Elena Valenzuela montrent que l'insertion des femmes sur le marché du travail s'est accrue sans que la responsabilité des tâches domestiques ait été renégociée. Cela n'est pas très éloigné de ce qui se passe en France, où, selon Monique Meron, les femmes en effectuent près des deux tiers. Très féminisée et emblématique, la prise en charge des personnes dépendantes, le care (soin), comme on l'appelle souvent, fait l'objet de plusieurs contributions. Marc Bessin pose la nécessité de la « politiser », de la sortir de la sphère du privé, tandis qu'Helena Hirata retrouve le lien direct entre genre, classe et race en analysant les migrations : en région parisienne, 90 % des travailleurs du care sont des immigrés ou issus d'immigrés en provenance des pays du Sud.
Les Femmes dans le monde académique (2) rassemble une sélection de contributions au colloque transdisciplinaire du même nom qui s'est tenu à Paris en 2015, et dont l'objectif était de mettre les instances et personnels universitaires face à l'importance des inégalités de carrière dans ces milieux. Un objectif qui n'a rien d'évident dans un monde « où la croyance dans la neutralité et l'objectivité des critères de l'excellence censés fonder les carrières est particulièrement vivace », comme le note Catherine Marry. On y voit les multiples facettes et naturalisations des discriminations de genre. Une mine de renseignements.
(1) Nadya Araujo Guimarães, Margaret Maruani et Bila Sorj (sous la dir. de), Genre, race, classe. Travailler en France et au Brésil, L'Harmattan, Paris, 2016, 360 pages, 37 euros.
(2) Rebecca Rogers et Pascale Molinier (sous la dir. de), Les Femmes dans le monde académique. Perspectives comparatives, Presses universitaires de Rennes, 2016, 228 pages, 18 euros.