Il y a trois ans, le mot APT (Advanced Persistent Threat) était le plus tendance du milieu cyber. Tout le monde le prononçait d'un air entendu, expliquant qu'il s’agissait d'un nouveau type de menaces. Les spécialistes d'entreprises de cybersécurité montraient leurs "solutions", les revues de directeurs de SSI ou de sécurité s’interrogeaient gravement, les journalistes faisaient leur travail en répercutant ce souci général.
A l'époque, comme tout le monde, j'avais essayé de comprendre : voici donc des menaces : bien ! Rien de bien nouveau. Elles sont persistantes : j'en déduis donc que par rapport à ce qu'il y avait "avant", celles-ci s'inscrivaient dans une plus longue durée. Soit ! Enfin elles étaient "avancées". Fichtre ! là, il fallait écouter les informaticiens et autres hommes de l'art pour nous expliquer en quoi c'était vraiment "avancé" et donc à la pointe de l'innovation, donc de la menace. S'agissait-il d'une nouvelle technique ? de procédés inédits ? Malheureusement, on obtenait des réponses évasives qu'on mettait sur le compte de la complication inhérente à ces suites de zéros et de uns, indicibles au vulgum pecus.
Peu à peu, j'eus l'impression qu'en fait, il s'agissait d'opérations combinées mettant en œuvre une longue phase d’espionnage, utilisant de l’ingénierie sociale pour profiler les cibles, leur lancer des pièges personnalisés afin d'insérer, plus ou moins automatiquement, des logiciels espions ou autres softs furtifs de commande à distance. Riez donc ! mais c'est ce que j'avais plus ou moins compris des explications qu'on m'avait données.
Aussi progressivement, le mot disparut pourtant des écrans radars et par exemple, au dernier FIC, nul n'y fit allusion, même pas Bruce Schneier qui cependant nous confia, sur le ton de la découverte la plus avancée, qu'il fallait réfléchir à la boucle OODA. Là, au passage, c'est le côté sympa quand on voit des informaticiens venir sur le domaine de la stratégie, subitement on se sent plus à l'aise et les rires changent de camp.
A bien y réfléchir, la dernière allusion aux APT fut l'équipe APT1, mentionnée par le rapport Mandiant pour l'unité 68193267830 9881 890 du côté de Shanghai et dépendant de l'armée chinoise. Depuis, le mot s'est évanoui et nous sommes tous passés à autre chose. D’une certaine façon, l'imprécision ressentie et l'absence de définition agréée ont suscité l'abandon de l'expression. Sans le dire, chacun délaissait le mot car on ne voyait pas précisément à quoi ça correspondait.
Aussi est-ce avec grand intérêt que j'ai lu cet article, récemment signalé par l'ami L. Guillet : APT is a who and not a what. On y apprend qu'en fait, la dénomination APT était utilisée par un service officiel de cybersécurité (de l’Armée de l'air US). Quand elle devait transmettre des informations classifiées au secteur privé sans pouvoir citer ses sources ni mettre un État en cause, elle utilisait un nom de code. APT désignait la Chine. Ainsi, APT n'est pas un quoi mais un qui, non un procédé mais un acteur. Menaçant, persistant, pas forcément très avancé.
Mais comme les destinataires ne le savaient pas vraiment, le sigle APT s'est diffusé et est devenu un produit marketing. Bref, si on vous dit que vous risquez une APT, ne tremblez pas et n'allez pas chercher de défibrillateur...
O. Kempf
Ben oui: ceci est le deux millième billet rédigé sur égéa (je n'ai pas dû tous les publier, il doit y en avoir une dizaine mis de côté)...
Comme le temps passe, disait l'autre.
Merci de votre fidélité.
O. KEmpf
Voici la deuxième édition d'un ouvrage paru l'an dernier chez Lavauzelle et qui avait connu un certain succès. Cette nouvelle édition est augmentée de tout un tas de contributions et témoignages qui en font l'ouvrage de référence sur cette opération. J'y participe au travers d'un article sur "Serval, quelques enseignements stratégiques".
Présentation de l'éditeur
La guerre du Mali est incompréhensible si l'on ne croise le témoignage de ses acteurs directs avec une réflexion approfondie sur l'instabilité de l'espace sahélien sur le temps long. Mali, une paix à gagner présente pour la première fois les témoignages inédits d'officiers ayant occupé des commandements opérationnels dans les premières semaines de l'engagement. Ces retours d'expérience couvrent l'ensemble du spectre des responsabilités assumées au feu par les officiers de l'armée de terre. Il s'en dégage une idée force : si l'armée française a su stabiliser provisoirement un territoire immense malgré les insuffisances de ses matériels, c'est qu'elle a misé sur une approche géoculturelle qui en fait la spécificité. Pour les officiers et les professeurs de l'armée française, il ne fait aucun doute que la stabilisation politique du Mali ne pourra se faire sans une réelle prise en compte de ses fractures culturelles. Faute de quoi la paix resterait bien fragile. Au fil des pages, articles universitaires et témoignages militaires entrent en résonance pour laisser entrevoir les contours d'un art français de la guerre, celui-là même qui force aujourd'hui l'admiration de nos alliés sans toutefois troubler l'insouciance légère de notre propre opinion publique.
Biographie de l'auteur
Cet essai a été rédigé par le groupe SYNOPSIS, du Centre de Recherches des Ecoles de Coëtquidan sous la direction d'Olivier HANNE. Animant un réseau interdisciplinaire d'universitaires et d'officiers, SYNOPSIS a pour ambition de replacer la culture au service de l'action. Les rédacteurs en sont Stéphane BAUDENS, Olivier CHANTRIAUX, Thomas FLICHY de LA NEUVILLE, Olivier HANNE, Gregor MATHIAS, Antoine-Louis de PREMONVILLE, Francis SIMONIS et Anne-Sophie TRAVERSAC. Ont également participé à ce livre par leurs réflexions Oliver KEMPF et Olivier TRAMOND. Les officiers ayant participé aux opérations et ayant contribué à la rédaction de ce livre sont Tanguy B., Bernard BARRERA, Bruno BERT, Benoît DESMEULLES, Arnaud LE GAL, Nicolas RIVET, Grégoire de SAINT-QUENTIN et Philippe S.
Mali, une paix à gagner - Analyses et témoignages sur l'opération Serval
LE SAHEL ENTRE TEMPÊTES ET GLACIATIONS IMPÉRIALES
Au-delà des apparences, l'espace sahélien se présente comme une mer oscillant entre tempêtes et glaciations impériales. Le flux et le reflux de cet océan singulier s'expliquent tout à la fois par la vitalité des empires qui le bordent et par le dynamisme de la côte africaine. Espace de transition entre les zones pastorales et agricoles, le Sahel a été provisoirement stabilisé par la colonisation française avant de redevenir une zone d'insécurité.
LE SAHEL, ESPACE DES EMPIRES OU DU VIDE (T. Flichy)
Sur la longue durée, l'espace sahélien alterne entre constructions impériales et zone de non-droit. Contrasté humainement et géographiquement, le Sahel représente un arc reliant le Soudan à la Mauritanie en incluant le Tchad, le Niger, le Mali, le Sud algérien et le Sud marocain jusqu'à l'Océan Atlantique. Ce désert, qui traverse le Mali, constitue une zone très ancienne de transition entre les zones pastorales et agricoles. Il s'agit d'un monde semi-désertique très contrasté géographiquement et humainement, il existe au cœur du Sahel une véritable concurrence entre les nomades, qui ont tendance à vouloir descendre vers le sud pour y abreuver leurs troupeaux, et les populations sédentaires du sud, qui veulent préserver leurs greniers contre les razzias du nord. A l'échelle du continent africain, cette zone constitue un vieil espace de contact entre le monde méditerranéen et celui de la pré-savane. Les axes caravaniers partaient anciennement de Libye en évitant la partie centrale du Sahara. Des empires s'y développèrent entre le lac Tchad et l'Atlantique. Le premier fut l'empire du Ghana, puis celui du Mali, qui l'engloba, et enfin un troisième, l'empire Songhaï. Tant que ces empires existaient, il était impossible pour les Touaregs de razzier les rives du Niger. Or l'empire Songhaï éclata en raison des grandes découvertes portugaises. La victoire de la caravelle sur la caravane lui fit perdre tout intérêt. Les mines d'or se mirent désormais à écouler leurs produits vers les ports portugais. Les Marocains réagirent, car tous les axes transsahariens faisaient la richesse du Maroc. Le sultan du Maroc pensa que les souverains Songhaïs ne voulaient plus commercer avec lui et les somma de le reprendre. En 1590, il lança une expédition qui partit de la région de Marrakech vers Tombouctou. Les Marocains y créèrent un territoire dépendant, le Pachalik de Tombouctou. Mais avec le temps, les liens se distendirent. Quand les implantations européennes disparurent, avec la fin de la traite transatlantique des esclaves, les empires connurent une véritable renaissance : le Sahel se réveilla sous la poussée islamique. Les années 1780-1890 furent à cet égard des périodes de Djihad, qui refaçonnèrent durablement la carte du Sahel.
L'inversion des rapports nord-sud par la colonisation française
La colonisation opéra un véritable renversement au profit du sud. Celle-ci fut précédée par quelques voyages d'exploration. René Caillié (1799-1838), qui avait passé huit mois en compagnie des Maures braknas de Mauritanie afin d'être initié à l'arabe et à l'Islam passa à Mopti en 1828. Se faisant passer pour un humble lettré musulman, il remonta le fleuve Niger en pirogue et fut le premier Européen à entrer à Tombouctou. Son journal d'un voyage de Tombouctou et à Jenné, publié en 1830, témoigne des conditions très difficiles de pénétration de cette contrée pour les Européens en voyage d'exploration. Lorsque les Français s'établirent au Mali, les territoires Bambaras étaient périodiquement ravagés par les esclavagistes de la zone sahélienne. Le royaume Bambara n'avait d'ailleurs succombé sous les coups des islamistes qu'à la veille de la colonisation. Cela explique les raisons pour lesquelles les Bambaras accueillirent positivement la colonisation et qu'ils s'enrôlèrent dans les tirailleurs sénégalais. Le Mali fut pacifié par le lieutenant-colonel Gallieni, qui raconte dans Deux campagnes au Soudan français, 1886-1888, l'appui décisif apporté par les noirs Bambaras. (...)