Sur le papier, il n’y a pas photo l’Alliance a une supériorité numérique évidente en hommes, avions et chars… Mais c’est trop lent juge-t-on à l’Alliance, non sans raison (crédit : Der Spiegel)
(B2) L’OTAN n’est pas totalement prête à faire face à une hypothétique attaque russe, selon un rapport, révélé ce week-end par Der Spiegel. Intitulé «Rapport de progrès sur la dissuasion renforcée et la posture de défense de l’Alliance», ce document laisse transparaitre une volonté de voir un retour aux structures de commandement utilisées par l’Alliance pendant la guerre froide, indique l’hebdomadaire allemand. Que faut-il en penser ?
Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, le renforcement des capacités de l’Alliance comme une réaction plus rapide des forces face à une possible action russe est (re)devenu un leitmotiv de l’OTAN. Au siège du bd Leopold comme au Shape à Mons, on ne veut plus revivre la période 2014 où la surprise « stratégique » a été de taille. Peu d’experts croyaient alors les Russes capables de déploiement aussi rapide (1). Or, malgré une supériorité numérique et en matériels, les forces euro-atlantiques se sentent aujourd’hui en infériorité tactique.
Une force de réaction rapide encore trop lente
L’Alliance ne peut même pas compter sur sa force de réaction rapide. « L’état actuel de la mise en œuvre de la zone de responsabilité du SACEUR ne donne pas suffisamment confiance en l’idée que même la force de réaction de l’OTAN est capable de réagir rapidement et d’être soutenue, si nécessaire. » Elle serait incapable de positionner ses troupes assez rapidement, elle manque d’officiers d’état major en nombre suffisant et les approvisionnements de l’autre côté de l’Atlantique sont insuffisants.
Une incapacité logistique
La capacité de l’OTAN de soutenir logistiquement « le renforcement rapide du territoire élargi couvre la zone d’opération du SACEUR. a été atrophiée depuis la fin de la guerre froide » indique le rapport. Il manque un peu de tout à l’Alliance pour mener une contre-offensive de façon rapide : des portes-chars, des wagons ou des ponts modernes pouvant supporter le poids des chars lourds.
Le problème du passage des frontières
A cela s’ajoute, le problème du passage des frontières pour les forces militaires, en temps de paix, qui est soumis à des formalités spécifiques (en plus des formalités habituelles de passage des frontières). Le Spiegel cite ainsi l’exemple emblématique d’un contrôle aux frontières entre la Roumanie et la Bulgarie où les hommes du 1er escadron du 2e régiment de cavalerie US auraient attendu plus d’une heure et demi, sous le soleil, pour voir leur entrée autorisée et leurs passeports tamponnés…
Une révélation fort-à-propos qui cache une bataille très diplomatique
Commentaire : Cette « révélation » survient, en effet, fort-à-propos. Et la révélation de ce rapport n’est pas fortuite. Elle vient plutôt aider certaines positions de négociation diplomatique. Une discussion est, en effet, en cours actuellement pour réformer les structures militaires de l’Alliance. L’enjeu est d’augmenter les structures de l’OTAN. Ce qui amorcerait un mouvement inverse à celui décidé à Lisbonne dans les années 2010, visant à faire dégrossir le « mammouth ». Un sujet entamé depuis juin dernier et qui sera à l’ordre du jour des ministres de la Défense de l’Alliance début novembre.
Si une remontée des effectifs pourrait être amorcée, notamment sur certains secteurs-clés (renseignement, cyber…), il s’agit d’une remontée légère plaident certains responsables de l’Alliance. « Pas question de revenir à une posture type guerre froide » indique à B2 un diplomate de l’organisation. Le trio Anglo-Américain-Français veille ainsi à ce que les effets de la réforme des années 2010 ne soit pas annihilés. D’autres au sein de l’Alliance rêvent de voir les effectifs remonter plus largement, notamment au sein de certains pays — comme les Allemands qui voient l’Alliance comme une Mecque de l’engagement militaire et en font d’ailleurs un élément majeur de leur carrière militaire. C’est un peu l’objet sous-tendu par cet article qui, sous prétexte de « fuite », vise à mettre un maximum de pression sur les diplomates des États membres peu tentés d’augmenter trop les effectifs.
Quant au problème de la création d’un « espace Schengen militaire », c’est effectivement un vrai problème auxquels se sont heurtés nombre de pays que ce soit pour acheminer du matériel lors des exercices, ou pour assurer les relèves dans le cadre de la présence « renforcée » à l’Est. Il est l’objet de réflexions approfondies au sein de l’OTAN mais surtout de l’Union européenne. Car c’est d’un espace Schengen imparfait que vient le problème. Les Pays-Bas en ont d’ailleurs fait un cheval de bataille. Ils ont proposé d’en fait un projet « phare » de la future coopération structurée permanente (PESCO).
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Or, après l’expérience géorgienne de 2008 qui avait vu de nombreux problèmes se poser aux forces russes (insuffisance des liaisons radios, de la chaîne logistique, manque de coordination entre les unités, risque de tirs fratricides, etc.), l’armée russe a entamé un vaste effort de modernisation qui a « payé » lors de l’intervention en Ukraine, en mêlant des moyens de type commandos, d’infiltration et de « propagande » (la bonne vieille agit-prop) à des moyens plus classiques.
Concevoir un drone européen au lieu d’acheter des drones américains, un des projets phares qui pourrait être confié à la PESCO (crédit : DICOD / EMA)
(B2) Avoir une coopération plus étroite en matière de défense entre des pays européens est un vieux projet qui pourrait finalement voir le jour, mais au prix d’un certain dévoiement de l’esprit d’origine. Dénommé tantôt par son objectif politique — « Union européenne de sécurité et de défense » – ou par sa terminologie plus juridique – « Coopération structurée permanente » – c’est un réel enjeu aujourd’hui pour les Européens que les Français sous-estiment.
La magie salvatrice est illusoire
Croire cependant qu’un tel regroupement pourrait faire naître, par une magie salvatrice, une volonté commune là où il n’y a que des volontés éparpillées, risque d’être une illusion dangereuse. Il ne faut pas envisager cette proposition comme une finalité en soi mais plutôt comme un processus, à plusieurs niveaux.
Une coopération structurée, politique
Premièrement, on aurait un premier noyau regroupant les pays les plus engagés, sur le moyen et long terme. Cette « Coopération structurée permanente » ne serait pas un noyau dur, au sens historique où les Français l’entendent, mais une Union politique, décisionnelle, une sorte d’Eurozone de la défense.
Des coopérations renforcées ad hoc
Au deuxième niveau, on aura des regroupements de certains pays par projet capacitaire (cyber, maritime, renseignement, satellites, etc.) ou par projet opérationnel (réaction de crises). Il ne s’agit pas simplement de modules optionnels, mais d’une vraie gestion des projets, de façon organisée, politique et financière. Une sorte de « coopération renforcée » ad hoc (un dispositif non prévu par le traité) (1).
Un noyau dur informel
Certains de ses projets auront un coté « mou ». D’autres seront plus durs, comme le projet mené par la France d’une capacité de réaction en cas de crise (CROC). De fait, le « noyau dur » de la défense sera créé à l’intérieur de cette Coopération renforcée, autour de certains projets : le futur système aérien (avion ou drone) de combat et cette CROC (menée par le couple franco-allemand, italien et espagnol) . Ces deux projets, comme les membres qui le composent, vont devenir, de fait, le noyau dur de la coopération de défense. A l’intérieur de la Coopération il y aurait ainsi comme une PESCO à plusieurs vitesses. Un procédé qui peut ne pas être séduisant d’un point de vue intellectuel mais été le seul moyen trouvé par les concepteurs et négociateurs de la PESCO pour concilier l’ambition et l’inclusivité nécessaires (1).
Ce qui manque
A ce dispositif, qui est en passe d’être mis en place (d’ici la fin de l’année), on pourrait imaginer d’ajouter certains éléments qui pourraient être utiles pour l’Europe de la défense.
Organiser l’avant garde
Premièrement, il faut d’emblée permettre l’action des « plus audacieux », de pouvoir mener des missions/opérations et d’agir au nom de tous ; ce qu’on appelle en jargon européen, l’article 44, du nom de l’article du Traité, doit être théorisé, planifié, pour que la notion d’avant-garde opérationnelle devienne, là, réalité.
Inventer des systèmes financiers
Deuxièmement, il faut des financements. Le fonds européen de la défense proposé par la Commission couvre le volet de recherche et industriel. Il ne suffit pas pour le volet opérationnel ou d’acquisitions. Il faut mettre en place le Fonds de lancement, dispositif prévu par le Traité jamais mis en œuvre (pour les opérations), voire un système de prêts-assistance pour les acquisitions, une sorte de FMS européen ? ou un trust fund permettant de rassembler des fonds nationaux et européens.
Un dispositif politique de réaction de crise
Troisièmement, il faut réorganiser les structures européennes et avoir un dispositif politique de réaction à la crise. Car ce qui fait défaut à l’Europe, ce ne sont pas les moyens vraiment, c’est le niveau politique d’anticipation et de gestion de crise. Il s’agit d’éviter de répéter l’erreur de la signature du traité d’association avec l’Ukraine où, naïvement, les Européens ont sous-estimé la réaction russe possible. Cela suppose d’avoir une sorte de conseil européen de sécurité, un « cobra » européen, rassemblant selon les crises (terrorisme, menace extérieure, catastrophe humaine, etc.) les responsables européens les plus adéquats (lire : Face au terrorisme, la réponse européenne trop lente). Il faudra aussi doter la Commission d’une task force défense apte à assurer le dialogue sur toutes les questions de défense comme le cabinet de la Vice présidente/Haute représentante d’un mini cabinet militaire (un attaché de défense et son assistant). La question de mettre en place des assistants sur la politique de défense et de sécurité, de haut niveau politique, aptes par exemple à présider les conseils de défense ou l’agence européenne de défense au nom de la Haute représentante doit désormais être examinée sérieusement.
Rompre la quadrature du cercle
C’est cet ensemble – coopération structurée et noyau dur de la PESCO, fonds défense et fonds de lancement, conseil de sécurité européen et DG Défense – qui feront la force de l’Europe de défense demain. C’est cette organisation qui permettra de rompre la quadrature du cercle d’une Europe de la défense trop souvent déclarative et pas assez agissante.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) La « coopération renforcée » selon le Traité nécessite de trouver neuf pays, ce qui peut être beaucoup pour mener une « vraie » intégration dans un projet ambitieux.
(2) On peut rappeler que si le critère d’inclusivité n’est pas expressément inscrit dans les critères du Traité, la mise en place de la Coopération structurée permanente nécessite une majorité qualifiée, donc d’un large nombre de pays (au moins 15).
Lire notre fiche : La Coopération structurée permanente (CSP), expliquée
et l’excellente étude réalisée pour le Parlement européen par F. Mauro et F. Santopinto (Grip) qui fait un tour d’horizon très intéressant.
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