(crédit : EUNAVFOR Atalanta)
(B2) Les critiques fusent déjà sur la Coopération structurée permanente. Ce qui est prématuré, puisqu’elle n’a pas encore démarré. Il faut cependant se garder de « dénigrer » pour le plaisir… l’Europe pourrait bien nous surprendre.
Des critiques bien établies
Certes, ce n’est pas la première fois que l’Europe de la défense (ou la défense européenne) est « relancée ». Mon ami Frédéric Mauro a compté au moins trois « relances » qui se sont enfoncées dans les sables : le traité de Maastricht, St Malo en 1998 et le paquet défense de la Commission en 2007-2009. En se gardant d’y ajouter le Traité de Lisbonne, on en est tout de même à la quatrième tentative. Cette Coopération est « moins ambitieuse qu’attendu, le concept d’États pionniers a été abandonné », critique le chercheur britannique Nick Whitney dans une envolée lyrique intitulée « EU defence efforts miss the open goal again » (1). D’autres experts se multiplient pour exprimer leurs doutes sur cette Coopération.
Certes, le produit fini n’est pas une révolution. On est loin du projet initial de noyau dur d’avant-garde. Les engagements, même s’ils sont politiquement contraignants, ne le seront pas dans les faits (2). Mais, pour autant, peut-on vendre la peau de l’ours avant d’en voir la queue ? Il faut prendre la Coopération structurée pour ce qu’elle est : un processus politique qui démarre, avec un clair engagement de tous les États membres (ou presque), une saine émulation par les pairs, une vingtaine de projets destinés à concrétiser cet engagement et des dispositifs de planification coordonnée qui ne sont pas encore mis en place.
Se baser sur les expériences du passé pour prédire l’échec de la PESCO tient du pari. Postuler son succès est tout aussi audacieux. Non, la PESCO n’est sans doute pas la panacée de la défense européenne. Pourtant, on peut reconnaître qu’il y a aujourd’hui une conjonction heureuse d’ingrédients – politiques, financiers, opérationnels, techniques – qui n’ont jamais été réunis et qui peuvent produire des résultats. Et le contexte de crises au niveau international pourrait être un puissant moteur pouvant alimenter le système ou pallier certains défaillances. Bref, pas d’emballement, mais pas de pessimisme non plus. Et surtout, ne jouons pas les Cassandre… Dans un an ou deux, si jamais cette Coopération ne produit pas tous les effets escomptés, il sera toujours temps de la critiquer. En attendant… Give PESCO a chance!
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Ceux qui ont connu Nick Whitney dans son poste de direction de l’Agence européenne de défense se rappellent d’un responsable beaucoup moins « allant » sur l’Europe de la défense, voire même réticent. « Il n’était pas aussi enthousiaste à l’époque et pas le dernier quand il s’agissait de bloquer un projet » a confié un responsable européen de l’époque.
(2) Un engagement contraignant est, selon moi, un dispositif « contrôlé », à plusieurs niveaux : par une assemblée démocratiquement élue, une cour de justice, et des documents rendus publics. Non seulement, aucun de ces critères n’est d’emblée rempli mais ils sont même exclus.
Le président Emmanuel Macron et le Cheikh Tamim ben Hamad al Thani à Doha (crédit : Elysée)
(B2) L’émirat qatari a signé successivement plusieurs contrats militaires ces derniers jours avec au moins deux pays européens — la France et le Royaume-Uni.
Jeudi (7 décembre), à l’occasion d’une visite du président français Emmanuel Macron à Doha, l’émirat a levé l’option pour 12 avions français Rafale de plus (à ajouter aux 24 déjà commandés) et mis une option supplémentaire sur 36 autres avions. Le Qatar a également signé une lettre d’intention pour l’achat de 490 véhicules blindés de combat et d’infanterie (VBCI) à l’industriel terrestre Nexter (qui appartient désormais au groupe franco-allemand KNDS).
Dimanche (10 décembre), le secrétaire britannique à la Défense, Gavin Williamson, et son homologue qatari, Khalid bin Mohammed al Attiyah, ont supervisé la signature pour l’achat de 24 avions Typhoon/Eurofighter à BAE, suivant une déclaration d’intention signée en septembre, et de missiles Brimstone et Meteor, au groupe franco-britannique MBDA ainsi que des Paveway IV de l’usine britannique de Raytheon. Le tout pour un montant d’environ 6 milliards £. Cet accord comprend également un ensemble de formation et de coopération entre les forces aériennes et une lettre d’intention pour l’achat de 6 avions d’entrainement Hawk.
A noter que : le ministère de la Défense du Qatar avait annoncé, en juin, la signature d’un contrat d’achat de 36 avions Boeing F-15 pour une valeur de 12 milliards $ ; le Pentagone ayant autorisé la vente au Qatar de 72 avions pour une valeur d’environ 21 milliards $.
Une diplomatie du carnet de chèques
Commentaire : une sorte de diplomatie du carnet de chèques pour le petit émirat, aux prises avec un terrible conflit diplomatique avec son grand voisin, l’Arabie Saoudite. On peut voir trois objectifs dans ces achats en rafale. Il s’agit, premièrement, de faire rayonner l’émirat et de s’assurer de solides amitiés parmi les principaux pays européens (et dans le monde). Ensuite, il s’agit de montrer à l’Arabie Saoudite (le grand concurrent régional) que le Qatar est aussi puissant que lui (il s’agit d’aligner le même nombre d’avions sur le Tarmac). Enfin, cela permet de se constituer une armée de l’air moderne. Mais cela paraît presque un détail car rassembler autant d’avions assez différents, qui sont tout autant concurrents que réellement complémentaires, n’est pas tâche aisée. Le résultat risque d’être largement hétéroclite et pas très efficace au point de vue militaire. Mais l’important ne semble pas être là.