La presse britannique et américaine n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du débat estival français sur le burkini, comme elle l’avait fait dans le passé lors de l’interdiction du voile dans les services publics puis de la burka. Le Daily Telegraph de Londres résume parfaitement le ton des médias anglo-saxons : il voit dans l’interdiction décidée par une poignée de communes du littoral un «acte d’un fanatisme insensé» et juge que «les vrais ennemis de la liberté ne sont pas les porteuses de burkini, mais les politiciens qui veulent les interdire». Le New York Times a donné la parole à des femmes musulmanes «persécutées» en France, dont l’une estime même que «les chiens ont plus de droits que les femmes voilées» (ce qui n’a pas plu à Manuel Valls, le Premier ministre). Pour bien enfoncer le clou, le journal a traduit l’article en français… Bref, la France serait quasiment une dictature qui aurait instauré un régime d’apartheid à l’égard des musulmans, une sorte d’Alabama des années 60. Ne nous y trompons pas : le débat va bien au-delà de la place de la religion musulmane (dans sa version islamiste) en France, les critiques étant tout aussi virulentes à l’égard de la politique française à l’égard des sectes, aucun Anglo-saxon ne comprenant pourquoi l’Église de scientologie, pour ne citer qu’elle, n’est pas reconnue comme une Église comme une autre.
En France, les défenseurs du droit des femmes musulmanes intégristes à couvrir leur corps à la plage ou ailleurs, soit une partie de la gauche (y compris féministe) et les libéraux, y ont vu un soutien inespéré à leur thèse, la «modernité» étant forcément anglo-saxonne. C’est moins le débat sur le burkini ou le voile qui m’intéresse ici que les raisons sous-jacentes aux critiques de la presse anglo-américaine : mis à part The Economist, qui a fait traiter le sujet par sa correspondante à Paris, elle a manifesté là une gigantesque incompréhension de ce qu’est le modèle français, et les Français qui se sont réjouis de ces critiques n’ont pas mesuré à quel point le modèle britannique et américain est différent du nôtre, un système dont ils ne voudraient par ailleurs à aucun prix : place de la religion, liberté d’expression, relativisme culturel, autant d’éléments qu’il faut prendre en compte si l’on veut comprendre la nature profondément différente du débat en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
In god, we trust
D’abord, la place qu’occupe la religion dans le monde anglo-saxon est particulière : la laïcité à la française n’y existe tout simplement pas. Il ne faut pas oublier que les États-Unis ont été fondés par des sectes religieuses chrétiennes chassées d’Europe à cause de leur nocivité supposée et que le pays reste fortement marqué par ses origines religieuses. Certes, l’État est séparé de l’Église, mais en ce sens qu’il est neutre à l’égard des religions, qu’il n’en favorise aucune en particulier. Mais, la religion est partout. Toutes les religions sont autorisées en vertu du premier amendement de 1791 : «le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion». Depuis 1956, la devise officielle est «in god we trust» et elle figure même sur la monnaie américaine. Mieux, le président américain prête dans la quasi-totalité des cas serment sur la Bible (mais c’est une pratique non obligatoire).
Résultat, même les sectes les plus extrémistes y ont droit de cité (des Mormons de l’Utah aux Amishs, en passant par les Témoins de Jéhovah, les Scientologues, etc). On compte aux États-Unis plus de 450.000 églises et ce n’est pas demain la veille qu’un président officiellement athée pourra se faire élire. À cela s’ajoute le respect absolu de la liberté d’expression, pendant de la liberté religieuse totale : on peut proférer toutes les opinions même les plus extrémistes, qu’elles soient racistes, antisémites, négationnistes, etc. L’existence officielle du KKK et d’autres groupes suprématistes blancs sont là pour le montrer.
C’est aussi vrai, mais dans une moindre mesure, en Grande-Bretagne où l’anglicanisme (une communauté d’églises autocéphales en réalité, à mi-chemin du protestantisme et du catholicisme), religion d’État (la reine est le gouverneur suprême de l’église d’Angleterre), s’est parfaitement accommodé du communautarisme, en particulier religieux : ainsi 85 tribunaux islamiques rendent des jugements dans les domaines civils et commerciaux, jugements qui doivent cependant être confirmés par la High Court pour avoir force obligatoire (en réalité s’ils sont contestés). En outre, la société britannique reste une société de classe strictement hiérarchisée où chacun fait ce qui lui plait dans sa classe sociale tant que l’ordre social n’est pas perturbé. Enfin, outre-Manche, tout comme outre-Atlantique, la liberté d’expression y est quasi absolue, héritage de la rupture avec Rome et ses dogmes.
Fellation interdite
Cette liberté a néanmoins ses limites, des limites marquées au coin de la religion : pendant longtemps, l’homosexualité a été durement réprimée (alors que la polygamie des sectes était admise), et, comme dans une banale théocratie, les États américains n’hésitent pas à s’inviter dans le lit de leurs citoyens (à ma connaissance, ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne). Ainsi l’Alabama a interdit, jusqu’en 2014, la fellation et la sodomie, même au sein des couples hétérosexuels, la Virginie interdit de faire l’amour en pleine lumière ou encore le Dakota du Sud impose que les hôtels aient des chambres à lits jumeaux séparés de 60 centimètres si le couple réserve pour une seule nuit. Il est même précisé qu’il est formellement interdit de faire l’amour au sol, entre les deux lits… Les lois et pratiques de la plupart des États américains sur les atteintes à la pudeur n’ont rien à envier aux pays musulmans (rappelons le scandale du Nipplegate). Et que dire de l’abrogation des lois sur la mixité décidée sous l’administration Georges W. Bush qui autorise les écoles réservées aux enfants de même sexe ?
Allons un peu plus loin et rappelons à nos amis américains que la ségrégation à l’égard des Noirs, peuple fondateur des États-Unis d’Amérique, n’est pas si lointaine – en considérant même qu’elle ait vraiment cessé — et que les États-Unis n’ont pas hésité, il y a 70 ans à enfermer dans des camps tous les Américano-japonais parce que soupçonnés d’être génétiquement des ennemis… Si une femme musulmane française voilée affirme sans rire qu’elle est moins bien traitée qu’un chien alors qu’une autre se demande si on ne va l’obliger à «porter une lune pour être reconnue» (heu, ça n’est justement pas le but du voile ?), que pourraient dire les Afro-américains, eux, qui peuplent les geôles américaines et qui n’ont pas intérêt à avoir affaire à la police blanche s’ils ne veulent pas être abattus…
Un modèle religieux
Enfin, rappelons que ce sont les Anglo-américains qui se sont jetés à corps perdu dans des guerres contre des pays musulmans avec les résultats que l’on voit, ce qui accroît le sentiment d’une guerre entre le monde occidental et le monde musulman. Les leçons de tolérance des Américains sont assez étonnantes à l’heure où le candidat républicain, Donald Trump, veut interdire l’accès du territoire aux Musulmans, ce qui est autrement plus grave que quelques interdictions municipales du burkini. Faut-il aussi rappeler que la ville de New York s’est opposée à la construction d’une mosquée à proximité du mémorial du 11 septembre ? Et on n’a guère entendu les Anglo-saxons lorsque tous les pays d’Europe de l’Est ont refusé d’accueillir des réfugiés parce que musulmans. Mais le burkini, voilà une atteinte intolérable aux droits des femmes musulmanes…
Il ne s’agit pas de dire que le modèle français est parfait, ce qui n’est manifestement pas le cas, mais qu’il est différent : la liberté d’expression n’est pas totale (diffamation, lois mémorielles, répression du racisme et de l’antisémitisme), l’espace public est étroitement réglementé, la séparation de l’Église et de l’État est absolue (sauf en Alsace-Moselle), l’Église catholique ayant été renvoyée dans ses églises avec une violence dont on n’a pas idée aujourd’hui. Même la langue française a un statut incompréhensible pour le reste du monde (c’est la seule langue admise par la Constitution et une Académie veille à sa pureté) si on ignore qu’elle a été imposée par la force aux dizaines de peuples qui vivaient dans l’espace français afin de cimenter le pays.
Bref, invoquer l’exemple de «tolérance» anglo-américain est donc un non-sens puisqu’il ne se découpe pas en tranche et qu’elle est religieuse. Est-ce de ce modèle dont nous voulons ?
N.B.: Il y a 7,5 % de musulmans en France, le pays occidental qui en compte le plus, 4,6 % en Grande-Bretagne et 0,8 % aux Etats-Unis. Même s’ils sont à prendre avec d’infinies précautions, ces chiffres de 2011 restent intéressants, car ils montrent aussi la spécificité de la France qui accueille forte communauté non chrétienne.
La Commission européenne a approuvé la mise sur le marché du Truvada le 19 août dernier. Ce médicament est le seul traitement qui existe pour la prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH. La distribution de ce traitement préventif pourrait empêcher la multiplication du virus en Europe et protéger les populations à risque.
La principale conclusion que nous pouvons tirer de la 21ème conférence internationale sur le sida, qui s’est tenue en juillet à Durban, est que l’objectif d’éradiquer le virus en 2030 ne sera pas atteint. Les derniers chiffres indiquent une hausse du virus dans certains pays et une diminution des fonds alloués à la recherche. C’est pourquoi le mot d’ordre du rassemblement de cette édition était « Access equity rights now » (« Accès à l’égalité des droits maintenant »). En effet, il s’agit de prendre en compte les multiples dimensions de la lutte contre cette épidémie : le droit au traitement, l’accès à la prévention et le droit à l’égalité devant la loi peu importe le statut de la personne. Rappelons que les personnes qui sont part ailleurs déjà victimes de discrimination dans la société font partie des communautés les plus vulnérables au virus: les personnes trans, les travailleurs du sexe, les migrants, les femmes… Lutter efficacement contre le sida passe donc aussi par l’inclusion de toutes les personnes concernées dans la réponse contre l’épidémie.
En autorisant la mise sur le marché du Truvada, l’Union européenne fait un pas significatif dans la lutte contre le sida par la voie de la prévention. En effet, ce médicament ne s’adresse pas aux personnes séropositives mais aux personnes qui les côtoient et sont exposées au risque d’être infecté. Le Truvada combine deux molécules anti-VIH : l’emtricitabine et le ténofir. Ce médicament peut être pris de façon continue ou à la demande avant un rapport sexuel. Néanmoins, les études montrent que l’efficacité du produit augmente avec une prise régulière. Ainsi, si le traitement est bien appliqué il pourrait à terme réduire à 100% le risque d’infection.
À ce jour, deux études ont apporté de très bons résultats et ont contribué à favoriser la mise sur le marché du Truvada : l’étude anglaise PROUD et l’étude française IPERGAY. Elles montrent que l’utilisation du Truvada de façon continue permettrait d’éviter jusqu’à 86% de transmission du virus. Ce médicament représente donc une vraie opportunité de s’attaquer à la transmission du sida. L’utilisation du médicament doit être comprise comme faisant partie d’une stratégie plus large de prévention.
En 2015, avec « The HIV prevention Manifesto – We need PrEP now ! » des associations LGBT et de lutte contre le sida attiraient l’attention des institutions européennes et des industries pharmaceutiques pour demander que la PrEP soit accessible en Europe, grâce au Truvada. En effet, 2014 est l’année où il y a eu le plus de nouveaux cas diagnostiqués en Europe, et parmi ceux-ci, 94% ont été infectés par rapport sexuel. En ce sens, le Truvada est un outil de prévention qui –associé à des pratiques sexuelles plus responsables – peut faire la différence. Par ailleurs, l’usage du Truvada en guise de PrEP est déjà autorisé aux Etats-Unis, en Australie, au Canada, au Kenya, en Afrique du Sud et au Pérou.
La mise sur le marché du Truvada pour la prophylaxie pré-exposition est nouvelle mais le Truvada avait déjà été approuvé par l’agence européenne du médicament en 2005 pour une utilisation en combinaison avec un autre médicament antiviral pour les adultes atteints du VIH. Néanmoins, aux vues du nombre croissant de transmission, les moyens de prévention classiques (tests sur base volontaire, promotion de l’usage de préservatifs, service d’assistance…) n’étaient plus suffisants.
La prise de Truvada peut avoir des effets secondaires telles que des nausées, des diarrhées, des douleurs abdominales ou des maux de têtes mais ceux-ci diminuent et disparaissent après quelques semaines de traitement. Néanmoins, il n’y a aucune interaction connue avec l’alcool, les drogues récréatives, les moyens contraceptifs ou d’autres traitements hormonaux. C’est pourquoi le comité des médicaments à usage humain a estimé que les bénéfices du traitement étaient supérieurs aux risques, et a recommandé la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché – qui a été approuvée pour une période illimité.
Il est maintenant du ressort de chaque État membre de fixer le prix et les conditions de remboursement du médicament. De même, il reste à déterminer qui peut avoir recours à ces traitements et où il sera disponible. C’est pourquoi il est important d’engager le dialogue avec toutes les communautés concernées afin que la Truvada soit au mieux intégrée dans l’approche préventive de lutte contre le sida. La conférence du Durban a rappelé que le sida est une maladie qui continue de faire des victimes, et parmi celles-ci on constate de grandes inégalités dans l’accès aux soins. Il en va du respect des droits fondamentaux des personnes d’avoir accès à tous les moyens de prévention qui existent en matière de soins de santé, comme l’affirme explicitement l’article 35 de la charte des droits des fondamentaux de l’Union européenne. Nous ne pouvons qu’espérer que l’autorisation de mise sur le marché de ce traitement préventif ne passera pas inaperçu et redonnera un souffle nouveau à la lutte contre le sida. A ce titre, l’autorisation de mise sur le marché du Truvada doit permettre de réaliser l’objectif fixé par l’OMS de proposer un traitement antirétroviral préventif à chaque personne exposée à un risque substantiel d’infection par le VIH.
Elisa Neufkens
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